mardi 30 août 2011

Grammaire et Récit (1) Chap. I à III


Grammaire & Récit


Avertissement


Ce livre est la deuxième version, entièrement refondue (en 1990, et resté, comme on dit, ‘en souffrance’), de mon ouvrage paru sous le ‘même’ titre en 1984 (Université de Nanterre) et épuisé depuis longtemps. Par une coquetterie qu’on me pardonnera, je distingue celui-ci par l’emploi de l’esperluette dans le titre.

Il y est question de grammaire ‘et’ de récit : en fait, de grammaire du récit, mais j’ai voulu éviter toute équivoque, et me donner le temps d’avertir que je n’emploie pas ici ‘grammaire’ en un sens approximatif et analogique, et que mes réflexions sur la narrativité constituent une extension de portée de la grammaire de texte.

Je soutiens dans ce livre la thèse que parler de grammaire dans le récit revient à reconnaître que les structures narratives sont régies par les règles bien connues de la grammaire auxquelles obéissent tous les énoncés : ces règles y ont seulement une portée différente, plus étendue et peut-être plus diffuse. Et je soutiens la thèse complémentaire que parler du récit dans la grammaire revient à identifier, dans cette dernière, les catégories et les opérations qui servent à concevoir et à représenter les situations, procès, actions, leurs modalités, les entités qui y participent. En d’autres termes : au delà des diversifications terminologiques, je soutiens que les catégories conceptuelles à l’œuvre dans la construction dite ‘grammaticale’ et dans la construction dite ‘narrative’ sont les mêmes.
La discipline dont relève ce livre, est la logique naturelle, telle qu’elle opère dans le langage ordinaire, où elle constitue ‘une compétence commune à tous les hommes’, qui ‘ne requiert aucune science spéciale’ (Aristote, Rhétorique I, 1, 1354a, cité par Grize 1990 : 21).

Elle est ainsi définie par J.-B. Grize :
D’abord logique de sujets. En effet, par cela même qu’elle se sert d’une langue naturelle, elle est de nature essentiellement dialogique, ce qui implique que l’on toujours affaire à au moins deux sujets, sujets en situation d’interlocution et de communication, donc dans un contexte social. [...]
Logique d’objets. Elle l’est en ce sens que l’activité de discours sert à construire des objets de pensée qui serviront de référents communs aux interlocuteurs. [...] la logique naturelle est une physique de l’objet non quelconque, toujours particulier, toujours doté d’un contenu spécifique. Grize 1990 : 21-22

Communication, signification, action sont ainsi associées dans une théorie commune, qui est, on le sait, au fondement de la réflexion philosophique la plus classique, mais aussi à la racine des recherches les plus avancées sur les systèmes experts et sur l’intelligence artificielle.


Note. Ce livre, s’il n’a pas particulièrement fait date – sauf pour moi-même bien sûr, et bien au-delà du ‘strict’ domaine de la linguistique – est néanmoins daté, comme en témoigne (à charge …) la bibliographie. Je ne le mets pas ‘à jour’, car il faudrait tout reprendre à zéro. Si je le remets en forme, sinon en circulation, c’est parce que la plupart des vues qui y sont exposées sous-tendent – je n’ose dire soutiennent – tout ce que j’ai pu faire par la suite, et dont je ne me dédis pas.


Abréviations :
RS         Représentation sémantique
RSp       représentation sémantique profonde
RSs        représentation sémantique superficielle
SP          Structure Prédicative
SS          Structure Syntaxique
ML        Manifestation linéaire
EdCh    Etat de choses




Table des Matières


Avertissement

Chapitre I Composantes, génération, interprétation
1. La Grammaire de Texte à Base Logique
1.1. Grammaire Générative
1.2. Grammaire de Texte
1.3. Grammaire non linéaire
1.4. Grammaire à base logique
1.5. Grammaire axiomatique
2. Simulation de la génération
2.0. Notion de simulation
2.1. Monde, graphe, base de texte
2.2. Réduction : détermination et orientation
2.2.1. Détermination.
2.2.2. Orientation.
2.3. Topicalisation et Structures prédicatives
2.4. Sélection lexico-grammaticale et Structure de surface.
2.5. Topicalisation et thématisation
2.6. Etiquetage grammatical et différenciation des langues.
2.7. Schéma récapitulatif
2.8. Notion stricte de transformation
3. Remarques sur l’interprétation
3.1. Génération et interprétation
3.2. Place et statut de l’interprétation
3.3. Opérations d’interprétation
3.4. Synonymie partielle et « gaspillage »
4. Composantes et structures
4.1. Représentation Sémantique (RS)
4.1.1. Représentation Sémantique Profonde (RSp)
4.1.2. Représentation Sémantique Superficielle (RSs)
4.2. Structure Prédicative (SP)
4.3. Structure Syntaxique (SS)
4.4. Manifestation Linéaire (ML)
4.5. Donnés et construits

Chapitre II Postulats logico-sémantiques
0. préliminaires sur les postulats
0.1. Contenu des Postulats de Sens
0.2. Origine et nature des Postulats de Sens
1. Postulats d’états de choses
1.0. Critères typologiques
1.1. Etat et Position
1.2. Procès et Evénement
1.3. Action et Acte
1.4. Récapitulation
2. Postulats de validité
2.1. Coordonnées spatio-temporelles
2.2. Cadre et noyau propositionnel
2.3. Coordonnées et interprétation
3. Modalités
3.1. Modalités absolues
3.2. Modalités relativisées
3.3. Constructions syntaxiques de la modalisation.
4. Postulats de relations
4.1. Induction de postulats
4.2. Exemple d’induction de postulats
4.3. Relations internes
4.4. Relations entre EdCh
4.4.1. Temporalité
4.4.2. Causalité
4.4.3. Degré
5. Structure interne des EdCh : rôles
5.0. EdCh et Rôles
5.1. Rôles individuels
5.1.1. Rôles de spécification
5.1.2. Rôles d’état
5.1.3. Rôles de position
5.1.4. Rôles de procès
5.1.5. Rôles d’action
5.1.6. Définition et hiérarchie des rôles individuels
5.2. Rôles des EdCh
6. Enonciation et énoncé
6.1. Cadre énonciation/énoncé
6.2. Marquages de l’énonciation
6.2.1. Le marquage spatial (Je-Ici)
6.2.2. Le marquage temporel
6.2.3. Modalisation de l’énonciation
6.3. Enonciation et buts de communication
7. Récapitulation des postulats de sens
7.1. Rappel sur la nature des postulats de sens
7.2. Postulats spatiaux
7.3. Postulats temporels
7.4. Le théorème vel
7.5. Le théorème maj
7.6. Récapitulation générale

Chapitre III Représentation sémantique et manifestation lexicale
1. Statut général du lexique
1.1. Nomenclature et taxinomie
1.2. Systémicité et analyticité
1.2.1. Système et hiérarchie
1.2.2. Les axiomes du lexique
1.3. Lexique : syntaxe et sémantique
1.3.1. Sémantique et syntaxe
1.3.2. Acquisition de la syntaxe (Alinei)
1.3.3. Grammaire du lexique
1.3.4. La « double articulation » du lexique
1.4. Créativité, imitation, mémoire
2. Les catégories lexico-grammaticales.
2.1. Motivation des catégories grammaticales
2.2. Relations entre catégories grammaticales
2.2.1. Dérivation et translation
2.2.2. La « déprédication » (Saumjan)
2.3. Fonctions logico-syntaxiques et catégories lexico-grammaticales
2.4. Réduction des catégories théoriques
3. Situation du modèle grammatical
3.1. Grammaire stratificationnelle
3.2. Grammaire générative
3.3. Grammaire (non) transformationnelle
3.4. Grammaire fonctionnelle
3.5. Grammaire lexicaliste
3.6. Grammaire de texte

Chapitre IV Grammaire et texte
1. Définition de Texte
1.1. Phrase et texte
1.2. Unité et totalité
1.3. Communication et texte
2. Fonctions du texte
2.1. T-règles
2.1.1. Coordination
2.1.2. Conjonctions
2.1.3. Déterminants et identification
2.1.4. Etats de choses et extension
2.1.5. Pronominalisation
2.1.6.  Passif.
2.1.7. Modalisation.
2.2. La textualisation
2.3. La compétence textuelle
3. Le traitement des textes
3.1. Analyse
3.2. Synthèse
3.3. Comparaison
4. Principes de description
4.1. Discours/texte : définitions opératoires
4.2. Corpus
4.3. Schématisation
4.4. Normalisation
4.5. Structuration
4.6. Réduction et saturation
4.6.1. Réduction
4.6.2. Saturation
4.7. Comparaison
4.8. Epuisement et exhaustivité

Chapitre V Catégories narratives
1. Les univers narratifs
1.0. Récit, langue
1.1. Grammaire et interaction sociale
1.2. Postulats de narrativité
1.3. Validité narrative
1.3.1. Temps
1.3.2. Espace
1.3.3. Modalité énonciative
1.4. Récit et discours narratif
1.5. Base de texte
2. Les catégories narratives.
2.1. Etats de choses et causalité
2.1.1. Etats de choses
2.1.2. Causalité
2.1.2.1. ENTR2 et ENTR1
2.1.2.2. Agentivité
2.2. Arguments, cas, rôles
2.2.1. Notion de rôle
2.2.2. Rôles et cas
2.2.3. Systèmes de rôles
2.2.3.1. Tableau comparatif
2.2.3.2. Points d’accord
2.2.3.3. Solutions particulières
2.2.4. Le système de Heydrich
2.2.5. Schéma des cas profonds.
2.2.6. Systèmes restreints et diversification.
2.3. De la grammaire au récit
2.3.1. Motifs et fonctions.
2.3.2. Définition du « motif »
2.3.3. Rôle, figure

Chapitre VI Economie des motifs narratifs
1. Types simples
1.1. Schémas de base et complexité progressive
1.2. Cinq classes générales de motifs simples
1.2.1. Motifs descriptifs statiques
1.2.2. Motifs descriptifs dynamiques
1.2.3. Motifs modaux (constitutifs de monde)
1.2.4. Motifs communicatifs
1.2.5. Hypermotifs
1.3. Sous-catégorisations et contraintes
1.3.1. Constantes figuratives
1.3.2. Focalisation
1.3.3. Traits sémantiques
1.4. Programme d’exploration des types simples
2. Types complexes : aspects logiques
2.1. Complexité temporelle
2.2. Degré
2.3. Alternative, réciprocité
2.4. Récit et grammaire
3. Types complexes : acceptabilité
3.1. L’instrumental dans le récit
3.2. Séquences contingentes et codes culturels
3.3. Motifs, modèles séquentiels, fonctions
3.4. Contingence et « évidence »
4. La figuration narrative
4.1. Figures et noms
4.1.1. Traits sémantiques
4.1.2. Portée extensionnelle des noms
4.2. Rôles habituels et spectrographie culturelle

Chapitre VII Cohérence et progression du récit
1. Cohérence et continuité
1.1. Formules générales de relations narratives
1.2. La cohérence narrative
1.2.1. Type, domaine, portée de la cohérence narrative
1.2.2. Cohérence des arguments
1.2.3. Cohérence des prédicats
1.2.4. Différence dissymétrique, différence symétrique
1.3. Continuité et discontinuité
1.4. Interprétation narrative et inférence
2. L’ordre narratif
2.1. Narratif et descriptif
2.1.1. Narration et description : définition
2.1.2. La vectorisation
2.1.2.1. Labov
2.1.2.2. Danto
2.1.2.3. Remarques
2.1.3. Vectorisation relative
2.1.4. Démultiplication des instances d’énonciation
2.2. Enonciation et temps
2.2.1. La représentation sémantique
2.2.2. La structure prédicative
2.3. Discours et récit
2.3.1. Rhétorique du récit
2.3.2. Génération du discours narratif
2.3.3. Approche d’une notion de « style » narratif

Chapitre VIII Les modèles séquentiels
1. Modèles empiriques
1.1. Propp
1.2. Labov-Waletzky
2. Modèles « déduits »
2.1. Greimas
2.2. Brémond
2.3. Larivaille
3. Modèles axiomatiques
3.1. Greimas
3.2. Doležel
3.3. Prince
4. L’extraction du récit
4.1. Récit et sens
4.2. Résumé et thème
4.2.1. « Règles » du résumé intuitif
4.2.2. Thème, texte et interprétation
4.3. La procédure de Hendricks
4.4. La procédure d’Agricola

Bibliographie
Index alphabétique
Schémas et tableaux





Composantes, génération,
interprétation


1. La Grammaire de Texte à Base Logique
Chacun des termes : grammaire générative de texte non linéaire à base logique, renvoie à une propriété distinctive théorique et formelle de la grammaire qu’il s’agit de construire.

C’est un modèle assignant à une représentation sémantique (RS), par une suite de règles de projection, une manifestation superficielle linguistique et une seule ; cette grammaire comporte une composante interprétative assignant à une manifestation linguistique une RS et une seule.

L’axiome de base n’est pas la phrase, mais le texte ; il n’y a pas à faire de distinction entre texte et phrase, puisque ce dernier terme n’a pas de statut théorique.
En revanche, de la distinction qui peut être faite entre texte et discours, il découle que le modèle grammatical prévu est un modèle de performance, et en tout cas un modèle de l’énonciation et non des seuls énoncés.

Le modèle grammatical comporte un bloc de règles pour la linéarisation de la manifestation linguistique, mais ces règles morphophonologiques sont les dernières de l’ensemble de la projection. En tout cas, le modèle grammatical est indépendant de la linéarité manifestée, car il est fondé en priorité sur les propriétés de la RS, qui est, dans notre perspective du moins, immatérielle. La linéarité est une contrainte de la substance de l’expression, et ce modèle est prévu pour différentes substances, qu’elles requièrent une linéarité totale ou partielle, ou qu’elles y soient indifférentes.

1.4. Grammaire à base logique
Cette particularité signifie d’abord que les composantes les plus profondes du modèle (représentation sémantique, représentation pré-syntaxique) sont construites au moyen de concepts et d’opérations mathématiques (notions d’ensemble et de graphe) et logiques (notions de proposition, prédicat, argument). Il est d’ailleurs supposé (sans que la démonstration fasse partie des objectifs de ce livre) que les opérations de locution et de communication sont théoriquement descriptibles en des termes mathématiques et logiques adaptés.


1.5. Grammaire axiomatique
Cette grammaire sera présentée de manière axiomatique ; toutefois, l’adéquation de la construction hypothético-déductive aux données empiriques est constamment recherchée, et contrôlée aussi souvent que possible. Il sera aussi fait largement usage de notions et de raisonnements intuitifs. Je reviendrai sur la nature réelle et sur le statut des ‘postulats’ qui seront avancés.

Dans les descriptions qui suivent, je n’affirme pas que les choses se passent comme cela, mais, et c’est assez différent, que tout se passe comme si. Cela revient à affirmer la nature hypothétique des descriptions, et, en allant plus loin, le caractère fictif des modèles proposés. Une fois pour toutes, un modèle est une fiction théorique, et il est destiné à rendre compte d’une manière aussi simple et prévisible que possible d’une réalité manifeste complexe et apparemment aléatoire. Selon le mot du physicien Francis Perrin, il faut remplacer du visible compliqué par de l’invisible simple. Je vais donc donner une description de la production d’un énoncé, qui est une simulation, un tout se passe comme si.

On considère une partie d’un univers de référence, saisie en un moment donné et constituée d’un certain point de vue, ou modalité ; j’appellerai cet objet monde. Je laisse de côté les restrictions concernant les données temporelles et modales, et je définis le monde comme un ensemble d’entités et de leurs relations. On peut identifier ‘un monde à une description d’état de l’univers ou d’une partie de l’univers.’ (Lyons l978 : l36).
La construction du sens et son élaboration en vue de la mise en discours part du graphe (ou réseau, c’est-à-dire l’application d’un ensemble de relations ou arcs sur un ensemble d’entités ou sommets, v. Sache 1974) représentant complètement (tous les êtres) et exhaustivement (toutes les relations) le monde qui fait l’objet de la communication.

Ce graphe est réflexif et symétrique ; en outre, pour tout univers de discours un peu complexe, il existe des arcs en parallèle, qui forment des faisceaux : il y a en général plus d’une relation élémentaire entre deux sommets quelconques, certaines étant compatibles en tout temps, certaines autres devant être alignées sur un vecteur.
 Schéma 1

Un exemple illustrera la notion de faisceau de relations ; soit l’énoncé :
Papa boxe Julien, puis le porte


Schéma 2

On peut le représenter par un graphe comprenant deux sommets, X et Julien, et trois relations, la relation être père valable pour tout le domaine de validité du discours, et les relations boxer et porter, qui sont (dans ce texte) incompatibles en un même moment, et qu’il faut ordonner sur un vecteur.

Le graphe représentant le monde comprend aussi, généralement, des relations de relations (des arcs unissant entre eux des arcs) : un exemple est justement le cas illustré par la formule précédente, où ‘puis’ représente une relation entre les arcs boxer et porter, nommément, la relation précède.
Cette construction constitue la Représentation Sémantique profonde (RSp) ; par rapport au texte du discours à produire, il s’agit d’une base de texte ; on appellera Base de Texte Explicite (BTE) l’ensemble des données déjà mentionnées, augmenté des inférences possibles, notamment les saturations internes (renforcement de faisceaux, établissement systématique de rela­tions de relations), et aussi des RS ou parties de RS asso­ciées en fonction de contextes donnés – indices de référence de la situation de communication, relations avec d’autres mondes possibles connectables en particulier parce qu’ils com­prennent des êtres figurant dans le monde du texte en question. Il s’entend qu’une BT ne saurait jamais être complètement ex­plicite ; mais cette notion indique qu’il est souvent néces­saire de saturer un graphe pour rendre compte des discours qu’il sous-tend.

La première opération générative consiste en une réduction. On peut distinguer plusieurs aspects dont au moins deux ont une importance décisive pour la suite des opérations.

Le premier aspect de la réduction est la détermination, ou la quantification, l’indexation, la référence démonstrative à la situation de communication. Il s’agit de constituer les êtres considérés (des ensembles de traits sémantiques liés par un prédicat, et qui sont considérés comme des entités simples) de manière à pouvoir les situer par rapport aux autres de même nature, mais aussi par rapport à la communication elle-même.
C’est une caractéristique très importante de la langue (par opposition au calcul arithmétique ou logique) que de pouvoir tout simplement effacer certaines données, en particulier les sommets non quantifiables. Un exemple de manifestation de cet effacement est la réduction sous-jacente à la forme du passif sans complément :
l’ennemi a pris la ville
la ville a été prise par l’ennemi
la ville a été prise Æ
La langue possède la capacité d’annuler les effets de cet effacement, en réintroduisant des valeurs fictives, comme les indéfinis, ce qui permet généralement d’exécuter des actes de langage différents, induisant des interactions spécifiques :
X a cassé le vase de Soissons
le vase a été cassé
le vase a été cassé par quelqu’un

D’autres aspects de la réduction sont le choix parmi les relations symétriques, une seule étant retenue à chaque fois, et la synthèse d’un faisceau en un arc, au moyen de fixations lexicales servant à nommer plusieurs relations associées dans un état donné de culture).
C’est à ce stade aussi qu’un sous-graphe partiel peut se trouver réduit à un point-sommet, en une opération de compactification.
Je reviendrai sur l’importance du choix d’un arc dans une paire symétrique, et notamment sur ses conséquences pour le découpage de la représentation en unités.
Le résultat est une composante connexe du graphe RS profonde : entre une paire quelconque de sommets, il existe au moins une chaîne ou suite d’arcs, compte non tenu de leur orientation. Elle constitue la Représentation Sémantique Superficielle (RSs) du texte, c’est-à-dire la version du réseau sémantique qui peut être représentée directement par un ensemble de prédications non redondantes et ordonnées.

Par rapport au texte du discours à produire, on parlera de Base de Texte Implicite (BTI), qui est ici l’input des formules linguistiques manifestées.


Schéma 3

La Représentation Sémantique superficielle (RSs) est donc un graphe simplifié, connexe.
L’orientation des arcs est un facteur d’articulation de la RSs en un ensemble de sous-graphes partiels prêts pour la projection en une forme propositionnelle.
La linéarisation d’une SF semantic formula comporte le choix d’un point d’entrée dans le graphe, et du chemin qui doit être tracé à travers celui-ci. Les choix faits au cours de la linéarisation n’affectent pas le sens cognitif mais [...] ont pour résultat des emphases différentes et des variantes stylistiques de réalisation. Hutchins l97l : l2
Tant que les arcs considérés ont la même orientation, on peut procéder à des opérations de composition, en traitant les relations comme des relations transitives. Aussitôt que l’on rencontre un arc orienté en sens contraire, on est obligé de pratiquer une coupure : on a deux composantes.
Il s’ensuit que la projection suivante prend en charge des sous-graphes partiels dont les sommets sont totalement ordonnés, et qui constituent donc des chemins dans le graphe de la RSs. Le choix d’un point d’entrée est la topicalisation : il pose le terme initial de parcours, et rapporte tous les autres termes, et toutes les relations partielles à ce terme. Ce terme devient le thème ou sujet logique de la sous-structure isolée en vue d’une représentation lexico-grammaticale délimitée et, dans une mesure plus ou moins poussée, synthétique.
Les phrases où le sujet logique et le sujet grammatical coïncident sont transformationnellement plus simples que celles où les deux fonctions ne coïncident pas.

L’intérêt théorique d’une notion comme ‘plus ou moins simple transformationnellement’ pose la question du topic. Cette notion n’est pas seulement une élégante solution de simulation, mais une réalité psychologique qui se développe à une étape donnée de la genèse du langage chez l’enfant.
On a donc une structure que l’on peut définir brièvement comme un chemin dans un graphe. C’est ce chemin qui est l’objet d’une opération dont l’output est une structure de forme propositionnelle. Cette opération semble réelle (et pas seulement théorique-fictive) ; elle consiste à disjoindre d’abord les deux sous-ensembles constitutifs du (sous)-graphe (partiel) : d’une part la suite des sommets, d’autre part la suite des arcs (orientés, je le rappelle, transitivement).
La première suite ne subit pas de modification, et reparaît comme suite d’arguments d’une prédication dont le foncteur est la résultante d’une opération de composition portant sur les arcs ordonnés. Les deux opérations, sur les sommets-arguments et sur les arcs-relations, s’apparentent respectivement à la somme et au produit algébriques.
La structure résultante est récursive : il est à tout moment possible d’extraire du bloc foncteur/prédicat un ou plusieurs constituants, et de la suite des variables d’arguments le sous-ensemble correspondant. La structure partielle Préd/Arg ainsi extraite pourra figurer dans un poste défini de la suite des arguments de la proposition générale, sous forme d’argument complexe.


Schéma 4

Le réseau RSs, même après les réductions dont j’ai parlé, reste en général d’une grande complexité, et sa projection stricte dans la composante SP (Structure Prédicative, ensemble de prédications) engendre théoriquement des structures récursives qui, même en tenant compte des possibles changements de topicalisation qui découpent la RSs, sont trop complexes pour être exécutables.
C’est alors qu’intervient, sur la composante SP (en réalité présumablement lors de sa constitution même), une stratégie de décision par laquelle
(a) sont isolés des sous-graphes partiels (et respectivement, dans la SP, des blocs récursifs de propositions, qui seront ultérieurement reliés entre eux, non sous la forme forte d’enchâssements (hiérarchie de subordination), mais sous une forme plus lâche, une connexion partielle (coordination) ; la relation globale est alors interprétable, soit par simple confrontation des contenus, soit par assignation d’une valeur constante au connecteur choisi (dans la pratique, c’est un dosage des deux qui advient, les connecteurs possédant une valeur générale que le contexte détermine, c’est-à-dire délimite et restreint),
(b) ces sous-graphes partiels, et respectivement les blocs propositionnels modérément récursifs, sont alors traités de manière variable :
– soit entièrement représentés, avec énumération complète des arguments, et représentation plus ou moins synthétique des relations :
je me promène dans les bois 
– soit partiellement représentés, avec énumérations incomplètes (notamment dans le cas de coordination permettant des effacements sans perte d’interprétabilité) :
(a) je me promène,               (b) moi dans les bois
– soit représentés globalement, par une lexicalisation couvrant simultanément le produit des relations et les variables d’arguments (non représentés par des constantes), p.ex. les nominalisations au sens strict :
la promenade.
Cette description est conforme à ce qui sera dit du rapport entre syntaxe et sémantique dans le lexique.
L’opération complexe décrite ci-dessus est lexicale en ce qu’elle adresse des ensembles d’objets (arguments, prédicats, blocs argument-prédicat) aux items d’un répertoire ; elle est grammaticale en ce que les items en question sont répartis en catégories combinatoires définies dans la composante suivante (la Structure Syntaxique), et non contraintes par le traitement interne de la SP. En d’autres termes, je puis représenter un EdCh aussi bien par une proposition grammaticale, ou plus d’une (coordonnées ou subordonnées), ou par un nom, un adjectif, un verbe ; il existe des préférences, pas de contraintes hors contexte.
Un complexe de structures partielles de SP, intégrées en une structure propositionnelle globale, est donc redistribué en sous-ensembles de complexité variable. Ces sous-ensembles sont alors traités par des opérations qui les adressent à un répertoire lexico-grammatical, formé d’une liste de lexèmes, d’une liste de fonctions grammaticales, et d’une liste de corrélations 2 à 2 d’unités des listes précédentes, corrélations non biunivoques, un même lexème pouvant remplir plusieurs fonctions, et une même fonction pouvant être manifestée par plusieurs lexèmes. Les choix qui interviennent à ce stade déterminent directement la construction proprement grammaticale, c’est-à-dire la forme syntaxique de l’énoncé. Un point décisif est que ces opérations, en mixant assez librement des représentations fortement synthétiques (comme par exemple des noms d’action) et des représentations plus analytiques (noms + adjectifs, noms + verbes, etc.), réalisent une maîtrise complète de la matière sémantique qui permet de manifester sous une forme très fortement standardisée (la phrase) des représentations d’une variété considérable.

La Promenade dans les Bois


Schéma 5

2.5. Topicalisation et thématisation
La simulation de génération a été, on s’en doute, très simplifiée. On a supposé en particulier
(a) que le graphe de la RSp est réduit d’une manière systématique,
(b) que cette réduction est définitive, c’est-à-dire que la génération est un processus linéaire.
En fait, les choses se passent d’une façon ni aussi simple, ni aussi rigide.
Le réseau extrêmement complexe (et complexifiable sans limite théorique) de la RSp est mis en ordre et hiérarchisé pour pouvoir être (partiellement) communiqué (ou lorsqu’il est communiqué). Cette mise en ordre reflète d’abord l’attitude normale (normative) de l’usager à l’égard du monde, ses connaissances, la hiérarchisation conventionnelle des êtres, des relations, des transformations, des désignations.
Au moment même de la communication, cette attitude globale, commune et automatisée, neutre pour une culture donnée, est révisée. A la topicalisation se superpose (sans l’annuler) la thématisation, qui reconsidère le monde hiérarchisé a priori de l’énoncé, et le hiérarchise complémentairement dans l’acte d’énonciation.
La thématisation consiste a prélever dans la RS un sous-graphe partiel, qui constituera le thème de l’énonciation. Par rapport à la RS, le thème est un sous-ensemble de sommets, ou un sous-ensemble d’arcs, ou un sous-ensemble de sommets affectés d’un sous-ensemble des arcs correspondants.
Ce thème une fois extrait (ou plutôt dans l’acte même de son extraction), il lui est affecté une catégorie grammaticale, et une catégorie lexicale compatible. Il n’y a aucune relation biunivoque nécessaire, par exemple, entre place dans le réseau, thème, fonction grammaticale sujet, et catégorie lexicale nom.
Une fois le thème extrait, il reste en principe la complémentaire dans le graphe ; celle-ci est traitée grammaticalement et lexicalement de manière à se combiner avec l’étiquetage grammatical et lexical du thème. En fait, ce traitement ne représente qu’un cas extrême de non redondance, pratiquement rare et théoriquement non privilégié. En réalité il reste toujours la possibilité de revenir sur la RS, et d’en ‘relire’ des parties.
La SP est en fait un mètre, un schème de commensuration, de normalisation, qui assure la généralisation indispensable à l’analyse, mais aussi se prête au calcul des différentes thématisations-projections, et doit permettre de rendre compte aussi bien du contenu cognitif commun, que des décisions énonciatives différentielles.


2.6. Etiquetage grammatical et différenciation des langues
L’assignation des catégories comme nom, verbe, adjectif, etc. se fait donc entre SP et SS, et on peut même définir le passage de l’une à l’autre comme une projection des catégories quasi-logiques (prédicat, arguments) en catégories compatibles avec les étiquettes nom, verbe, etc.
Les notions de sujet, complément, qui sont sans doute élaborées assez tôt dans le processus d’intériorisation de la syntaxe, sont donc ajustées aux unités lexicales. Un nom est une unité préférentiellement utilisée pour représenter directement un argument propositionnel, ou un rôle, ou encore une proposition entière ; un verbe est une unité préférentiellement utilisée pour représenter le prédicat d’une proposition (les marquages temporels et modaux rendent alors compte de façon économique du rapport entre cadre et noyau propositionnel, et même d’une partie du rapport entre constitution de monde et description). Aussi bien le nom que le verbe peuvent occuper la fonction de l’autre catégorie (noms dans des phrases à copule, formes nominales du verbe). Les relations logique/lexique pour l’ensemble des catégories grammaticales se décrivent de même.
Je voudrais insister sur le fait que dans l’usage ordinaire et individuel du langage, les choses ne se passent pas comme ça, parce que les processus ici désarticulés adviennent de manière automatisée, quasi-instantanée et surtout fortement conventionnelle (sur une base sociale très déterminée, qui est celle du cadre d’apprentissage du langage) : on ne peut les saisir que dans le processus plus lent de l’acquisition du langage. (On peut comparer la description qui précède avec celle que propose Hutchins l971 : 7-9).
Une dernière remarque. Les différences entre langues historico-naturelles s’établissent, selon ce modèle, entre SP et SS ; des comparaisons nombreuses (Grimes 1975) montrent que l’on peut décrire une RS, dans un très grand nombre de langues, d’une manière standard (un graphe).
D’autre part, les mêmes comparaisons montrent que certaines catégories de SP sont largement indépendantes des langues naturelles : c’est le cas de notions comme celle de rôle (agent, locus, etc.), de causatif (v. Grimes 1975 : 118-9). La SP étant une schématisation de la RS, il n’y a pas lieu de prévoir une différenciation entre langues naturelles à ce niveau ; en revanche, les synthèses lexicales, les catégories primaires (nom, adjectif, etc.) et secondaires (logico-syntaxiques, sujet, complément, circonstanciel, etc.), présentent une variété considérable.


Schéma 6
Projection des composantes

La projection RS ® SP ® SS ® ML est une linéarisation fictive de processus automatisés, dont l’analyse est possible, et représentée dans le langage, notamment par des formes semi-analytiques, dans les auto-paraphrases et dans la conversation.
Si ML1 correspond à un optimum conventionnel neutre de projection de la RS, son statut est celui d’une forme de référence ; sa relation avec ML2, de même que celle qui lie SS1 et SS2 est de transformabilité réciproque.

manifestation lineaire
(suite phonologique)

½
­
½
règles de projection morphophonologique
(ordre linéaire strict)
structure syntaxique
(indicateur syntagmatique étiqueté)

½
­
½
½
assignation (simultanée)
– categories lexicales
– categories grammaticales
– ordre de raising
structure predicative
(suite de prédications)

½
­
½
choix d’un chemin
– enumeration arguments
– composition relations
représentation
semantique
superficielle
(sous-)graphe partiel connexe

­
½
reduction paires et boucles
extraction d’une chaine
représentation
semantique
profonde
(graphe complet, symétrique, réflexif)



2.8. Notion stricte de transformation
Nous avons donc vu qu’à une ‘même’ RS et à la (ou une) prédication qui la représente, correspond un ensemble a priori non clos de structures morpho-syntaxiques. La relation entre ces structures peut être définie de deux façons :
(a) comme fonctions de la prédication commune, et c’est une définition générative qui décrit (ou simule) la projection vers la surface ;
(b) comme variables d’une structure commune, et c’est une description transformationnelle qui décrit les opérations permettant de passer d’une structure à une autre de même niveau.
La perspective générative sert ordinairement de contrôle et de justification à certaines descriptions grammaticales (ex. complément d’agent, cas datif, etc.) auxquelles elle fournit un appui ‘logique’.
La perspective transformationnelle repose sur la définition implicite de structures de référence, à partir desquelles les autres seront calculées, les règles de ce calcul constituant des ‘règles de grammaire’. Ainsi, la forme de phrase simple, affirmative, non emphatique, sans effacement sert-elle de forme de référence pour décrire, par exemple, la forme négative, la forme passive, les formes à effacement.
En résumé, une transformation est une règle qui permet, à partir d’une structure donnée, d’en décrire une autre de même niveau. En pratique, une règle de syntaxe est souvent une transformation appliquée à la forme de référence de la phrase.



Le parcours génératif est censé représenter ‘ce qui se passe’ lors de l’émission d’un énoncé, le travail qui, d’une représentation sémantique mentale, fait passer, par projection, les données sémantiques et logiques (conceptuelles) dans une représentation lexico-grammaticale (perceptible).
Le parcours interprétatif est censé représenter ‘ce qui se passe’ quand un récepteur opère le décodage d’un énoncé, et lui assigne une représentation sémantique qui le met en particulier en mesure de produire des énoncés à propos de ce qui lui a été communiqué. Cette notion est sujette à caution :
si, comme on le suggère quelquefois, nous comprenons le discours en produisant notre propre analogue de ce que nous pensons que l’autre est en train de dire, la projection inverse [i.e. de la surface vers la représentation sémantique] n’est nullement requise pour rendre compte de cette sorte de comportement linguistique. Grimes 1975 : 195
On peut se contenter de considérer les deux parcours comme des simulations, destinées à fournir un modèle du comportement linguistique qui soit capable de rendre compte de certaines propriétés des discours.

Dans le présent modèle, l’interprétation n’est rien d’autre que le parcours à rebours de la génération ; mais on peut aussi concevoir le processus d’interprétation comme une simulation du processus génératif, déclenchée dans l’esprit du récepteur par les signaux formant la Manifestation Linéaire, et testée par celui-ci, instantanément, sur ces mêmes signaux.

Ce qui pourrait le donner à penser, c’est la capacité de ‘se faire une idée’ du contenu d’un message, en se fondant sur une partie de ce message : les aspects socio-culturels jouent évidemment ici un rôle déterminant, qui ne fait que renforcer l’hypothèse.
Grimes (1975 : 195) parle de l’ ‘inverse de la grammaire’, et il n’y a certainement pas d’incompatibilité entre l’hypothèse génération/interprétation (encodage/décodage en termes de communication), et l’hypothèse génération/simulation.
Comprendre une phrase peut être considéré comme l’inverse du processus d’expression [...] Naturellement, il y a autant de restrictions et de choix que dans l’expression, et cela ne doit pas surprendre qu’un lecteur fait souvent des choix conduisant à une interprétation que l’écrivain n’avait pas programmée. Hutchins 1971 : 10
Grosso modo on peut dire que le processus de compréhension revient à analyser l’information véhiculée par la structure de surface du texte et à la traduire en termes de contenu, c’est-à-dire en information conceptuelle. Les phrases sont de cette manière converties en suites de propositions. van Dijk 1981 : 83

Ce processus de synthèse est automatisé :
Aussitôt que nous saisissons [grasp] le sens grammatical d’une expression [...] nous commençons à tirer des inférences que nous reconnaissons à peine pour des inférences, parce qu’elles sont tout juste ce que nous faisons habituellement dans la vie. Olson 1952 : 55
Cette capacité de tirer des inférences ‘spontanément’ (après apprentissage) constitue une libération par rapport à l’ordre linéaire :
Des mots discrets du texte, il résulte dans l’esprit du lecteur une continuité d’expérience. C’est le phénomène de ce que l’on pourrait appeler la disparition du medium, ou surface textuelle. Hendricks 1974 : 42
Je me bornerai à quelques aspects remarquables du processus d’interprétation, sans privilégier aucune des deux hypothèses d’interprétation ou de simulation.

Chez l’adulte locuteur natif ‘compétent’, l’interprétation se réalise de manière automatique et auto-correctrice. Une ML étant reçue, il lui est assigné immédiatement une RS, qui est vraisemblablement intermédiaire entre la RSs (elle est moins ‘réduite’ et normalisée) et la RSp (elle n’est pas immédiatement exhaustive). Généralement parlant, on pourrait avancer que le donné observable de la ML est corrélé avec un donné vécu à quoi correspond la RS.
La ‘compétence’ déborde les données immédiates de la ML : celle-ci déclenche (a) des associations mémorisées, plus ou moins conventionnelles ou idiosyncrasiques, contraignantes ou facultatives, et (b) des inférences, dont certaines sont directement contrôlées par les conditions effectives de la communication (la situation).
En conséquence de la manière dont le ‘sens’ est assigné à la ML, il est possible à l’interlocuteur (ou au locuteur en un second temps) de procéder à certaines opérations sur la RS induite : paraphrase, résumé, intitulation, classement, questions-réponses en termes non présents dans la ML.
En somme, à partir de la ML, il est possible, après passage par la RS, de ré-émettre des Manifestations Linéaires variables sous-tendues par la même RS.

Dès lors se pose un problème de principe. Soient deux Manifestations Linéaires différentes, sous-tendues par une ‘même’ RS, c’est-à-dire deux expressions synonymes. Chomsky (1970, 1971) considère que les ‘structures de surface’ (emphase, intonation, topic/comment) peuvent infléchir le sens de l’énoncé.

Ce point de vue est incompatible avec celui que je soutiens. Chomsky a été entraîné à formuler son hypothèse par les difficultés rencontrées pour différencier des ‘effets de sens’ dans un modèle de SS. Le modèle de Chomsky, en outre, est dans toutes ses versions un modèle d’énoncé, et le recours à des faits d’énonciation n’est qu’un palliatif.
Les malentendus légers, les reprises pour correction, qui pourraient sembler un argument en faveur d’un infléchissement du sens par la ML, prouvent seulement qu’il n’y a pas de garantie absolue d’une parfaite adéquation de la ML à la RS, et cela, en raison de la situation de communication d’une part, et de l’intersubjectivité d’autre part, qui constituent la dimension sociale du langage. Ce ‘gaspillage’ est en fait une ressource, dont l’usage ordinaire n’exploite qu’excep-tionnellement les virtualités.
Pratiquement, une RS n’est pas entièrement déterminée, même si le modèle formel sous-jacent est une structure mathématique bien définie. Les RS présentent des zones floues, relations indécidées, entités non quantifiées, sous-réseaux compactifiés (vus comme un point). Dès lors, on ne peut dire que deux Manifestations Linéaires correspondent à une même RS : elles correspondent à deux ‘lectures’ pratiquement équivalentes d’une seule RS.
On considérera, d’une part que la synonymie n’est jamais que partielle, et d’autre part que les différences de ML sont programmées dès le début du processus génératif, prenant en charge des actes de langage, des modalisations, des signalisations variées de relations sociales. Mais cette programmation se fait sans doute en gros, elle admet des zones indécidées qui peuvent être tranchées dans l’acte d’énonciation.
Une partie des décisions ainsi prises et manifestées peut être ‘gaspillée’, des distinctions non ou mal perçues, par exemple, en français actuel, la différence perdue entre ‘rien moins que’ et ‘rien de moins que’. Mais si l’interprétation comporte une part de simulation de la génération, l’engendrement d’un discours comporte une prévision de ce que sera son interprétation, et cette prévision peut avoir une incidence sur la projection de la RS en ML.



4. Composantes et structures
La Représentation Sémantique (RS) est un réseau (ou graphe) consistant en un ensemble d’entités abstraites (points-sommets), et un ensemble de relations élémentaires (lignes-arcs) unissant ces entités deux à deux. Un sous-ensemble de sommets et d’arcs (un sous-graphe partiel) est compactifiable : on peut le traiter comme un sommet unique, simple. Réciproquement, un sommet considéré jusqu’à un certain moment comme un point, peut être développé en un sous-graphe partiel. On peut ainsi prévoir des relations entre entités, entre entités et relations, entre relations.
Ces propriétés correspondent au fait empirique que les unités du langage sont analysables en notions partielles, et que des notions qui sont ordinairement traitées comme élémentaires, primitives, peuvent se révéler comme complexes et dérivées. Cela n’entraîne inconvénient, ni pour la compréhension effective, ni pour la description des mécanismes de production du sens.
Une RS peut avoir la forme suivante :
RS Û g (la RS est représentée par un réseau-graphe)
g = (X, U) (ensemble des sommets + ensemble des arcs)
X = {x1, x2, ... xn} (énumération des sommets)
U = {u1, u2, ... un} (énumération des arcs)
u1 = (x1, x2)
u2 = {x1, x3)
...
un = {xm, xn)

La Représentation Sémantique Profonde (RSp) est un réseau-graphe saturé : tous les sommets sont reliés entre eux par au moins un arc (graphe complet), que les sommets sont reliés dans les deux directions (graphe symétrique), et il existe des boucles pour chaque sommet (graphe réflexif ; ces boucles, définissant une relation d’une entité à elle-même, sont non triviales s’il s’agit d’entités complexes, comme des sous-graphes partiels compactifiés).
Ainsi définie, la Représentation Sémantique Profonde est un monde dont on peut expliciter n’importe quelle partie, et que l’on peut parcourir à partir de n’importe quel sommet. […] Dans quelque sens que le réseau soit tracé [charted], aussi longtemps que la même configuration de branches est retenue, le réseau est inchangé. Leech 1974 : 288
La configuration qui demeure inchangée est le contenu cognitif de la RSp, et les différents parcours possibles sont des ‘emphases’.


4.1.2. Représentation Sémantique Superficielle (RSs)
La RSp est une disponibilité, elle peut être à tout moment reprise en considération, notamment dans une interaction communicative qui n’aurait pas donné satisfaction, ou dans le cas d’une explicitation complexe (un discours dépassant une certaine mesure). Mais pour devenir communicable, elle doit être fragmentée et simplifiée.
La Représentation Sémantique Superficielle RSs est une simplification ensemble des sommets, sous-ensemble des arcs, qui n’est généralement pas symétrique on ne lit ordinairement pas les deux orientations d’une relation donnée, ni réflexive le nom suffisant généralement à inférer diverses relations définissant l’entité.

L’une des fonctions les plus importantes du niveau de représentation sémantique de surface est sans aucun doute de débrouiller des réseaux compliqués, et de les découper en unités adaptées à une représentation séquentielle et à une représentation syntaxique, et spécifiquement de les convertir en prédications, et de là, en phrases. Leech 1974 : 285

La Structure Prédicative (SP) prend en charge les données, désormais non ou moins redondantes, de la RS et organise celles-ci en prédications, qui sont des structures récursives de forme propositionnelle
Prop. ® prédicat <Arg1 ... Argn >
Ces structures résultent
(a) de l’ordonnancement des sommets du graphe, et du choix corrélatif d’un arc dans chaque paire symétrique ;
(b) de la composition des relations élémentaires.
Le bloc prédicat représente le produit des relations binaires, la suite des Arguments représente la suite (ensemble ordonné) des sommets.
Les structures prédicatives sont récursives : un poste d’argument peut être occupé par une structure prédicative complète préd/Arg, qui fonctionne comme une ‘subordonnée’ syntaxique, et équivaut à la compactification des sous-ensembles partiels et à l’expansion des sommets dans la représentation par un graphe.
De la récursivité, il découle que pour une proposition quelconque, en général
(a) le prédicat est décomposable en une suite de relations transitives plus simples, correspondant aux arcs binaires du graphe, ou à des suites partielles d’arcs ;

(b) la suite d’arguments peut comporter des arguments individuels ou des arguments complexes consistant en une structure préd/Arg ;
(c) toute décomposition d’un prédicat en deux ou plus de deux prédicats plus simples a pour conséquence de constituer une proposition dont le prédicat est le premier sous-ensemble prédicatif, et dont l’un des arguments est une proposition, dont le prédicat est le second sous-ensemble prédicatif, et ainsi de suite :
P1 ® préd1*préd2*préd3 <x, y, z, w>
peut s’écrire :
P1 ® préd1 <x, P2>             P2 ® préd2 <y, P3>
P3 ® préd3 <z, w>

La Structure Syntaxique (SS) est constituée de suites hiérarchiques d’éléments étiquetés : les catégories sont lexicales (nom, adjectif, verbe,...) et grammaticales (sujet, complément, conjonction, ...). Cette composante correspond à la ‘structure profonde’ de la théorie chomskyenne : du point de vue adopté ici, c’est une structure déjà ‘superficielle’.
La projection SP ® SS se fait par une opération de lexicalisation/grammaticalisation solidaire : à des parties de la proposition sont conjointement affectées une catégorie lexicale, par exemple [nom], [verbe], [adjectif], et une catégorie grammaticale (une disponibilité combinatoire), par exemple [sujet], [complément], [circonstanciel], [modal], [instrumental].

Ce n’est pas dans l’acte de locution que l’on peut saisir le détail de la lexicalisation/grammaticalisation, processus entièrement automatisé, instantané chez le locuteur natif adulte. Il faut pour en reconstituer (archéologiquement) les données et les étapes, remonter à l’époque de l’acquisition des catégories syntaxiques par l’enfant.

La Manifestation Linéaire (ML) est la suite concrète correspondant à l’acte de discours, qui s’actualise dans une substance de l’expression matériellement contrainte. La linguistique décrit la manifestation morpho-phonologique.
Je ne m’occuperai pas spécifiquement dans cet exposé des problèmes de la manifestation morpho-phonologique linéaire, sauf lorsque certains de ses aspects serviront à illustrer le fonctionnement des composantes sémantique, logique, ou syntaxique.


4.5. Donnés et construits
La seule composante observable est la ML, qui est faite d’objets perceptibles.
La RSp correspond à la notion de vécu, ou ‘expérimenté’ ; elle ne peut être, telle quelle, directement communiquée ; elle est diagnostiquée, par des tests (comparaison de ML liées, questions, etc.), ou par l’observation des conséquences d’interventions pratiquées sur elle.

Les composantes RSs, SP, SS sont des construits, c’est-à-dire des hypothèses ; la RSs et la SP sont construites à partir de la RSp, que la RSs ‘calque’ en la simplifiant, et que la SP ‘calque’ en la schématisant ; la SS est construite en fonction de la ML, qu’elle ‘calque’ en la normalisant.


Schéma 7

Les composantes construites jouent le rôle de modèle, et de métalangage, pour les autres (Saumjan 1965 ; Guentchéva-Desclés 1976 : 49, 52 ; Walliser 1977 : 116-124)










Chapitre II
Postulats logico-sémantiques


Un certain nombre de Postulats de Sens servent de base aux descriptions grammaticales, cognitives, narratives qui font l’objet de ce livre. Il faut toutefois s’entendre sur la nature et le statut de ces postulats.

En premier lieu, les langues historico-naturelles dans leur usage ordinaire ont ‘pour finalité de traiter les cas typiques’ (Lyons 1980 : 117). Cela signifie que des Postulats de Sens correspondant à l’intuition des sujets parlants sont probablement plus adéquats, opératoirement et théoriquement, que des postulats qui en sont éloignés. Les Postulats de Sens logiques destinés à expliquer l’expression et le contenu du langage doivent être immédiatement intelligibles. Ils figurent d’ailleurs concrètement dans le lexique de chaque langue, et même dans les hautes fréquences d’usage.
Il faut donc s’en tenir à une adéquation empirique qui tienne directement compte du réalisme naïf, de la métaphysique de l’usage quotidien, des catégories ‘naturelles’, et des taxinomies traditionnelles, qui restent courantes et commandent notre expression linguistique bien au delà de la validité des hypothèses cognitives qui les soutiennent ; nous disons encore, sachant que c’est ‘faux » : le soleil se lève, le soleil se couche.
Les Postulats de Sens concernant la langue ne sont pas strictement axiomatiques. Il faut les considérer dans une perspective, non seulement logique, mais aussi ontogénétique, et fonctionnelle.
Quant au caractère axiomatique de ces catégories logico-syntaxiques, il doit être interprété dialectiquement et non absolument. [...] Au stade ontogénétiquement antérieur, celui du développement logico-opératoire, elles sont au contraire parfaitement définissables comme résultat d’un processus de développement. Fonctionnellement, elles se laissent définir sur la base des résultats qu’elles produisent. Alinei 1974 : 220

Ce qui apparaît dans cette description sous forme de postulats est le produit du développement psycho-linguistique. D’autre part, les catégories ont souvent été élaborées progressivement, au moyen de tests qui les ont dégagées lors d’opérations de description concrète. L’hypothèse d’un postulat de sens do, correspondant à peu près à f (= contrôle), a été exemplairement élaborée par Ross (1972).
Mon objectif n’étant pas d’établir des listes de Postulats de Sens, mais d’étudier leur mécanique, je me servirai de ceux qui ont semblé, à l’usage, les plus fondés. (v. Lakoff 1970, et Wierzbicka 1972).

Si l’on considère un énoncé décrivant un fait extérieur, par exemple une interaction actantielle, il faut supposer que la structure syntactico-sémantique de cet énoncé admet un corrélat objectif, autrement dit qu’il y a une structuration objective du fait – un système de connexions structurales – qui se trouve linguistiquement exprimée. [...] Cette structuration n’est pas de nature physique. [...] Elle subsiste idéellement. Mais bien que linguistiquement exprimable, elle n’est pas de nature linguistique. Elle constitue un tiers terme phénoménologique réel entre expression et réalité, tiers terme que l’on appelle un état de choses. Petitot 1985 : 39
La structure des EdCh se reflète directement aussi bien dans le lexique que dans la syntaxe. Il s’agit de regard sur les réalités extérieures, que nous voyons sous des formes normalisées, qui nous permettent de les comprendre, de les mémoriser, d’en communiquer des représentations mentales, et de mémoriser celles-ci.

Les critères servant à la définition des Etats de Choses (EdCh) sont les suivants :
(a) le nombre des entités participantes ;
(b) l’opposition +/– Dynamique, qui distingue les EdCh où ‘rien ne se passe’ de ceux où ‘il se passe quelque chose’ ;
(c) l’opposition +/– Duratif, qui distingue les EdCh instantanés, ponctuels, de ceux qui se prolongent dans le temps ;
(d) l’opposition +/– Contrôlé, qui distingue les EdCh perçus ou conçus comme advenant sans qu’une entité définissable en assure le contrôle, de ceux où l’on peut assigner le cours des choses à une entité volontaire et responsable.


1.1. Etat et Position
Une situation est un ensemble d’entités et un ensemble de relations entre ces entités. Une situation statique
a pour caractéristique d’exister, et non de se produire, et d’être homogène, continue et immuable pendant toute sa durée. (Lyons 1980 : 116
L’immutabilité laisse le critère  +/– Duratif indécidé. Le critère (d) +/– Contrôlé distingue une situation contrôlée par l’une des entités participantes, la position, et une situation subie, l’état (ex. ‘siéger’ vs ‘être assis’).

Une situation dynamique peut être contrôlée ou non ; si elle ne l’est pas, elle peut être instantanée ou durable. Un procès est une situation non contrôlée durable, un événement est une situation non contrôlée instantanée.
La notion de procès est dérivée de celle d’état ; un procès élémentaire est un couple d’états ; un procès quelconque est une suite d’états ; tout procès quelconque est décomposable par récurrence :
(a) selon un déterminisme causal : état initial vs autres états, puis, dans la suite restante, état initial vs autres états, et ainsi de suite ;
(b) selon un déterminisme final : état final vs autres états, puis, dans la suite restante, état final vs autres états, et ainsi de suite.
La notion d’événement est également dérivée de celle d’état, à travers celle de procès ; l’événement est un état final de procès, dont les états antérieurs ne sont pas visés.

La notion d’action est dérivée de celle de procès : une situation dynamique peut être contrôlée par un agent qui la déclenche et en assure ou en maîtrise le déroulement ; une action est un procès contrôlé ; un acte est un événement contrôlé.

Les EdCh définis axiomatiquement sont donc :
(a) état
– Dynamique,
± Duratif,
– Contrôlé
(b) position
– Dynamique,
± Duratif,
+ Contrôlé
(c) événement
+ Dynamique,
– Duratif,
– Contrôlé
(d) procès
+ Dynamique,
+ Duratif,
– Contrôlé
(e) acte
+ Dynamique,
– Duratif,
+ Contrôlé
(f) action
+ Dynamique,
+ Duratif,
+ Contrôlé


Cette petite typologie ne contient pas le critère (a) du nombre d’entités participantes. Elle montre en outre que l’on peut dériver toutes les catégories de celle d’état. Partir de la notion d’état pour en dériver les autres est une abstraction, peut-être insatisfaisante en fonction de nos connaissances bio-physiques, qui imposeraient de partir de la notion de procès, et d’en dériver celle d’état, comme le fait Thom (1974). Mais le point de départ axiomatique a moins d’importance que le fait de dériver les notions les unes des autres, de passer d’une catégorie à une autre en modifiant un trait ou en combinant une notion théorique avec une autre.
Sur les types d’EdCh, v. Dik 1978 : 32-6, Lyons 1980 : 116-7.



2. Postulats de validité
La prédication qui décrit la structure interne des EdCh est valable à chaque fois pour une classe d’EdCh ; elle correspond approximativement à ce que Carnap (1958 : 40) définit comme l’intension de la proposition, son sens [sense]. Quant à sa valeur de vérité, ou extension, elle a un rôle semblable à celui de la classe d’individus correspondant à un prédicat (Carnap 1958 : 40), et doit être délimitée par des coordonnées de validité.
Nous sommes habitués à décrire les événements en utilisant quatre coordonnées : les trois coordonnées d’espace où l’événement s’est-il produit ? , et une coordonnée de temps Quand s’est-il produit ? . Rosnay 1975 : 207
Un texte est tel à condition d’être actualisé dans une communication qui sert de domaine de référence pour les coordonnées : la référence temporelle (Lyons 1978 : 135) situe toutes les prédications par rapport à l’instant de l’actualisation (énonciation) du texte, et par rapport les unes aux autres. Une situation est
un monde possible considéré à un moment particulier ou à une époque donnée. van Dijk 1981 : 73

Le rôle des coordonnées spatio-temporelles apparaîtra dans l’exemple suivant :
 (1) le roi est chauve                soit :            x est roi + x est chauve
Cet énoncé, si l’on n’en considère que le noyau (ici, le sens intensionnel), réfère à un ensemble d’EdCh ; on ne peut lui assigner de valeur de vérité, l’interpréter. Pour pouvoir le faire, il faut utiliser des coordonnées spatio-temporelles :

(a) le roi est chauve        (France, 1820)  véridique
(b) le roi est chauve       (Belgique, 1962)      faux
(c) le roi est chauve        (France, 1990)         absurde

(a) et (b), correspondant à la conjonction de deux propositions pourvues d’une extension, sont respectivement conforme et non conforme au monde possible réel aux lieu et temps donnés ; (1c) n’est pas interprétable, car elle correspond à la conjonction de deux propositions dont l’une n’a pas d’extension au lieu et temps donnés. En clair, Louis XVIII était bien chauve, Baudouin ne l’était pas, et il n’y a personne en France en 1990 qui soit roi.

On doit donc, pour compléter la représentation des EdCh, corréler le noyau prépositionnel représentant le contenu de la situation, aux données spatio-temporelles qui le valident. Cette relation peut être représentée sous forme propositionnelle, au moyen d’un prédicat superordonné.
Appelons cadre propositionnel (Pc = ‘proposition-cadre’) une prédication liant trois arguments :
(a) une spécification spatiale, l [= locus]
(b) une spécification temporelle, t [= tempus]
(c) le noyau propositionnel Pn
Ces arguments sont attachés entre eux par un prédicat exprimant que la corrélation du noyau et des spécifications rend le noyau valide. Comme nous sommes, non dans le domaine de la vérité logique, mais de la validité empirique, il s’agit d’une valeur de fait ; on peut ainsi appeler ce prédicat cuf [= c’est un fait].

(Remarque. Ce prédicat est exprimé en anglais par ‘do’, quand le verbe principal a déjà été formulé, et dans les négations et interrogations.)
Le schéma général de toute proposition de la SP est le suivant :


Schéma 8

Le cadre propositionnel (Pc) consiste en un prédicat fictif c’est un fait (cuf) dont les arguments sont: une valeur temporelle (t : t), une valeur locale (l : l), et le noyau propositionnel (Pn).
Le noyau propositionnel (Pn) consiste en un prédicat (préd) qui synthétise les relations d’une suite d’arguments (A, B,...), qui peuvent être représentées par des variables (x1, x2), ou à leur tour par des cadres propositionnels (Pc), analysables comme supra ; ce dernier cas, dit récursivité dans la structure profonde, correspond à la subordination de la structure superficielle.
La représentation propositionnelle correspondant à (1a) est donc :
(2a) Pc ® cuf (l : France, t : 1820, Pn)
       Pn ® manquer de (A : x1, B : cheveux)
Soit, par composition :
(2a) P ®cuf* manquer de (l : France, t : 1820, A : x1, B : cheveux)

2.3. Coordonnées et interprétation
L’assignation des coordonnées spatio-temporelles est un acte décisif de l’interprétation. La RS d’un texte est un réseau de relations comprenant un nombre fini de sommets et un nombre fini d’arcs ; toutefois, en général, un texte présente un nombre relativement peu élevé d’entités (considérées identiques à elles-mêmes dans toutes leurs occurrences), et un nombre plus élevé de propriétés et de relations. Le graphe qui figure la RS correspondante présente donc des faisceaux entre n’importe quelle paire de sommets.
L’un des moyens les plus ordinaires de débrouiller ce réseau est de le décomposer en sous-réseaux partiels (sous-graphes partiels) en assignant aux relations en parallèle entre deux entités des valeurs de coordonnées spatio-temporelles. On obtient ainsi des structures plus simples, qui peuvent être situées par rapport à l’instant de l’énonciation, et ordonnées les unes par rapport aux autres.
Pour revenir à l’exemple traité en 1/2.1.
Papa boxe Julien, puis le porte
on aura la représentation suivante :
P1 ® cuf*père de (l : l, t : t1, A : x, B : Julien)
P2 ® cuf*boxer (l : l, t : t2, A : x, B : Julien)
P3 ® cuf*porter (l : l, t : t3, A : x, B : Julien)
Les constantes temporelles sont telles que :
(a) <t2,t3> = t2 est antérieur à t3
(b) t1 É [t2,t3] = s’étend du début de t2 à la fin de t3.


3. Modalités
Un EdCh est communiqué sous une modalité (simple ou complexe), qui définit la position de l’énonciateur à l’égard dudit EdCh. Les modalités sont considérées comme des primitifs sémantiques, des Postulats de Sens.
Les principales modalités sont:
aléthique                   l(p)           p est nécessaire
épistémique              k(p)           p est certain
axiologique               g(p)           p est souhaitable
déontique                  o(p)          p est obligatoire
véridique                   v(p)           p est vrai
Les modalités sont des prédicats monadiques dont l’argument est une proposition. Dans le système exposé ici, l’argument de la modalité est le cadre propositionnel ; il s’ensuit que dans le langage ordinaire, la modalité aléthique est ‘absorbée’ par le prédicat cuf ; quant à la modalité véridique, elle n’est pas relativisable (v. Chap. 3./2.).
Ces modalités se composent avec l’opérateur neg = non. La combinaison de deux neg ne ramène pas à la valeur initiale de la modalité.

mod
neg*mod
mod*neg
neg*mod*neg
l
nécessaire
contingent
impossible
possible
k
certain
douteux
exclu
plausible
g
souhaitable
non souhait.
mauvais
tolérable
o
obligatoire
facultatif
interdit
permis
v
vrai
faux
faux
vrai

3.2. Modalités relativisées
Dans la schématisation qui a été présentée, la modalité est un prédicat superordonné à la proposition descriptive de l’EdCh. Elle est indissociable de l’énonciation: en fait, la modalité est une décision du locuteur de constituer le monde référentiel (ce dont il parle) en définissant une attitude à son égard, et en tentant de faire partager celle-ci à l’interlocuteur.
La forme théorique de la modalité est
Pmod ® MOD (p)
C’est une prédication, où le prédicat monadique est la modalité, et le seul argument est une prédication descriptive de monde. Par exemple:
Pobl ® O (p)     se lit:     ‘p est obligatoire’

Cette forme théorique ne tient pas compte de l’énonciation, et en particulier du fait que le locuteur et l’allocuté sont ou peuvent être impliqués dans la modalisation.
[...] les expressions bien formées du langage logico-mathématique, même une fois interprétées, sont des propositions et non des énoncés. Je veux dire par là que la notion de sujet énonciateur est absente. Grize 1990 : 19
On appellera modalité relativisée une modalité qui peut se paraphraser, p. ex. ‘p est obligatoire à mes yeux’, ou bien même ‘à mes yeux p est obligatoire pour toi’, qui signifie que ‘tu’ joue un rôle dans ‘p’, qui est ‘obligatoire’.  Soit l’énoncé
je dois travailler
Paraphrase : [quelque chose/quelqu’un cause que j’accepte le fait qu’il est obligatoire que je travaille].

La paraphrase semi-formelle est celle-ci :
en un lieu li et un temps ti c’est un fait que
x cause/contrôle (= f) le fait que
y accepte/coïncide avec (= co) le fait que
il est obligatoire (= O) que
y travaille
Et la représentation prédicative :
P ® f*co*O*TRAVAILLER (li, ti, A : x1, B : x2, C : x2)
Dans ce cas, les coordonnées spatio-temporelles couvrent l’ensemble des prédications. Mais il peut y avoir des ‘décrochages partiels’, comme on peut le voir dans les énoncés
(a) je dois aller demain à Paris
(je dois maintenant aller demain)
(b) je devrai aller demain à Paris
(je dois demain aller demain)
Une modalité est donc un prédicat complexe qui lie trois arguments :
(a) un argument représentant l’entité qui contrôle la relativisation de la modalité, l’agent modalisateur, autorité ou garantie ;
(b) un argument représentant l’entité qui, sous l’influence de l’agent modalisateur, coïncide avec le statut modal de l’EdCh, l’assume, c’est le patient de la modalisation, qui est généralement coréférent avec le locuteur ;
(c) un argument représentant l’EdCh, dont certaines entités participantes peuvent être coréférentes avec l’agent et/ou le patient de la modalisation (comme dans je veux travailler, [je cause que [je accepte [qu’il est obligatoire [que je travaille]]]]).


3.3. Constructions syntaxiques de la modalisation
La modalisation définie dans la SP se construit variablement dans la SS.
Soit les cas suivants :
(a) interdiction de fumer            (c) il faut que tu aides Jean / tu dois aider Jean
(b) il faut s’entr’aider    (d) je dois partir

 (a) est très proche de la forme théorique : ni locuteur, ni interlocuteur ne sont marqués, la modalisation est absolue ; (b) a la même forme, mais est sensiblement moins ‘impersonnelle’ ; (c) se paraphraserait en [quelque chose me fait considérer qu’il est obligatoire que tu aides Jean] ; (d) a pour paraphrase [quelque chose me fait considérer qu’il est obligatoire que je parte].
La relativisation de la modalisation est implicite dans tout énoncé ; elle est marquée lorsque l’un des interlocuteurs, ou les deux, jouent un rôle dans le monde référentiel couvert par la modalisation.
Les marquages productifs en français, qui donnent lieu à des constructions syntaxiques régulières, sont :
(a) le type ‘il est Adjmod que P’ : l’adjectif est un dérivé du verbe modal (certain, souhaitable, permis, etc.) :
il est certain que Marie est une brave fille
(b) le type ‘SN Vmod que P’ (vouloir, croire, désirer,  etc.) :
il est souhaitable que tous soient présents
(c) le type ‘SN Vmod Vinf’ (mêmes verbes et pouvoir, devoir, etc.) :       
Marie doit rester à la maison
(d) l’antéposition d’un adverbe ‘Advmod (que) P’ :
bien sûr (que) Marie est une brave fille
(e) l’intonation :             Paul-est-un-génie !


4. Postulats de relations
Les postulats concernant les relations internes à un EdCh ne seront pas traités en détail ici : il s’agit pour le moment de présenter les concepts et les opérations. Ces postulats sont conçus en fonction du fait que tout réseau, aussi complexe soit-il, peut en dernière analyse se décomposer en relations binaires orientées. Les postulats de relations sont donc, soit dyadiques (‘relations’), soit monadiques (‘propriétés’). Je rappelle enfin que les postulats sont en réalité le produit d’inductions intériorisées et automatisées, acquises lors de l’apprentissage du langage dans une langue historico-naturelle.

Un exemple montrera comment on peut induire de tels postulats. Soit l’énoncé (et quelques variantes) :
Judith déplace le livre de la table à l’étagère
Judith prend le livre sur la table
Judith ôte le livre de la table
Judith met le livre sur l’étagère
Une analyse notionnelle de cet EdCh (action) est :
Etat 1 : le livre est sur la table et le livre n’est pas sur l’étagère
Etat 2 : le livre est sur l’étagère et le livre n’est pas sur la table
Procès : de l’Etat 1, il s’ensuit l’Etat 2
Action : Judith contrôle le Procès
L’EdCh a donc été décomposé :

PAction ® contrôler (A : Judith, B : Procès)
PProcès ® s’ensuivre (A : Etat 1, B : Etat 2)
PEtat 1 ® être sur (A : livre, B : table)
P’Etat 1 ® neg*être sur (A : livre, B : étagère)
PEtat 2 ® être sur (A : livre, B : étagère)
P’Etat 2 ® neg*être sur (A : livre, B : table)

Si l’on symbolise (et je le ferai définitivement)
contrôler par    f (¬ ‘faire, causer’, etc.)
s’ensuivre   par    entr (¬ ‘entraîner’)
être sur       par    co (¬ ‘coïncider’, ici ‘ avec le haut de’

on peut enfin formuler l’exemple :
PAction ® f (A : Judith, B : PAction)
PProcès ® entr (A : PEtat 1 , B : PEtat 2 )
PEtat 1 ® co (A : livre, B : table)
PEtat 2 ® co (A : livre, B : étagère)
P ® f*entr*co (A : Judith, B : livre, C : table, D : étagère)
[Judith contrôle que successivement le livre coïncide avec la table, avec l’étagère].

L’ensemble des postulats de relation qui ont été introduits jusqu’ici sont :
(a) les prédicats monadiques (dont l’argument est une proposition) : les modalités l, k, g, o, v, l’opérateur neg ;
(b) les prédicats dyadiques f, entr, co ;
(c) le prédicat ‘fictif’ cuf.

Les combinaisons de ce petit nombre de Postulats de Sens couvrent un large domaine cognitif, bien représenté par le lexique, qui enregistre, d’une part les données intensionnelles, d’autre part certaines conditions extensionnelles (un peu comme si l’on recopiait pour mémoire, à côté de formules mathématiques à valeur générale, certains résultats remarquables d’un usage pratique fréquent ; c’est le cas des Barêmes de Comptes Faits dont se servaient, avant l’invention des calculettes, les maquignons de ma campagne natale).
Les relations entre participants des EdCh sont variées, mais entrent dans un petit nombre de catégories générales: contact, inclusion, situation relative, comme proximité, relation à l’orientation, comme devant, au-dessus, qui sont des notions spatiales, et les abstractions, temporelles et notionnelles, de ces relations.
Les relations entre EdCh sont celles de compossibilité, de simultanéité, de coprésence, de succession, de codétermination modale (causalité, exclusion, préférence, etc.).

L’énonciation a pour fonction de ‘lier’ des représentations linguistiques d’EdCh, en indiquant quelles sont les relations qui s’établissent entre eux pour constituer un monde cohérent. Les relations entre EdCh sont multiples, mais certaines font l’objet d’une attention qui se marque par des régularités dans le choix des ressources linguistiques (ce qu’on finit par appeler des règles).


4.4.1. Temporalité
On a vu que le marquage temporel situe les EdCh par rapport à l’instant de l’énonciation (chronologie déictique), et que le cadre propositionnel comporte des données spatio-temporelles qui servent à valider la description. Ces données ne sont pas répétées dans chaque énoncé partiel. Dans un texte (ensemble cohérent de RS, v. 4/3.), il est courant d’utiliser, à titre d’abréviation, des marquages de relations temporelles qui sont: la simultanéité, l’antériorité, la postériorité, la succession (suite d’antériorités-postériorités).
Les marquages sont, outre l’emploi des temps verbaux, des conjonctions, dont certaines sont polysémiques:
(a)    veni, vidi, vici               (conj. Æ, succession)
(b)    Paul lit, avant, il a mangé              
(c)    Paul mange, puis lit  
(d)    Paul mange et lit         (interpr. successivement)
(e)    Paul mange et lit        

L’expérience ordinaire que le langage prend en charge établit une sorte de corrélation empirique entre consécution et conséquence (la formule post hoc ergo propter hoc de la rhétorique classique). La relation de causalité peut se formuler logiquement ainsi
si P1 alors L (P2) ou:
P1 étant un fait, P2 est nécessairement un fait.
Le marquage de la causalité se fait explicitement, au moyen de verbes comme causer, faire, occasionner, et implicitement dans les verbes d’action.; il se fait également au moyen de conjonctions dont la forme étymologique indique l’origine temporelle (parfois spatiale transférée en valeur temporelle):
(a) il est venu après qu’il a eu mangé
(b) il vient puisqu’il a mangé
(c) puisque tu as mangé, tu peux venir
(d) puisque tu auras l’argent, tu peux signer le contrat
(e) il est venu avant de manger
Les trois exemples (a) à (c) montrent une interprétation de plus en plus nettement causale de la relation temporelle, jusqu’à une relation paradoxale qui met en jeu le temps de l’énonciation : [après que / puisque c’est un fait MAINTENANT qu’il est certain que tu auras l’argent, tu peux MAINTENANT signer APRES le contrat]. L’exemple (e) montre que le français utilise une conjonction d’origine spatiale ; l’italien ancien utilisait aussi avanti che, appresso che.

4.4.3. Degré
La relation de degré est beaucoup plus fréquente qu’on ne pourrait le croire à première vue. Elle entre en jeu, bien entendu, dans des constructions de type comparatif explicite, comme
Pierre est plus intelligent que Paul
Georges est plus travailleur que Jacques
Mais cette relation se trouve également représentée par des formes lexicales qui imposent des constructions syntaxiques du même ordre
Pierre préfère lire (plutôt que se promener)
Pierre hésite entre sortir et rester à la maison

Enfin, la relation de degré est implicite, et rapportée à une norme, pour toute une classe d’adjectifs et d’adverbes comme grand, petit, lointain, proche, fort, faible, etc. qui signifient chaque fois [X est Adj à un degré supérieur ou inférieur à la norme] (que l’on compare Tom est grand pour un Tutsi et Tim est grand pour un Pygmée).
La relation de degré est donc souvent marquée, de façon variée, aussi bien dans le lexique (qui en donne des versions abrégées) que dans la syntaxe (qui en donne des versions développées).


5. Structure interne des EdCh : rôles
La notion de rôle sert à indiquer, du point de vue de l’EdCh, une entité participante ET sa place dans l’EdCh ; du point de vue de la représentation en SP, un argument ET sa place dans la suite définie par le prédicat.
Pour une proposition
P ® préd (A : x1, B : x2, C : x3)
les rôles se paraphraseront
A de préd, B de préd , C de préd.
P ® MANGER (A : Jean, B : pain)
A de MANGER = [mangeur],
B de MANGER = [nourriture]
Il est nécessaire de définir des rôles généraux d’après le contenu du prédicat, c’est-à-dire en fonction de la structure de l’EdCh. Je distinguerai (par simple commodité) les rôles individuels (ou la variable de rôle est couverte par une constante individuelle), des rôles dont la variable est couverte par un EdCh.

Une proposition représentant un EdCh comprend un noyau propositionnel et une spécification, consistant en deux coordonnées spatio-temporelles. Les deux premiers rôles sont donc :
l     locus, espace de validité                       t             tempus, temps de validité.
Les constantes couvrant ces variables sont des noms comme, resp. ici, Paris, et demain matin, 8 h 47.

Un état peut comporter 1 ou 2 entités participantes, qu’on appellera conventionnellement objet(s). Les rôles correspondants sont donc :
o         objet, rôle unique d’Etat
o+      objet marqué, terme initial d’une relation orientée
o–     objet non marqué, terme final d’une rel. orientée
Les constantes correspondantes sont des noms :
le chat (o) est noir                      Jean (o+) voit l’arbre (o-)

Un position est une situation contrôlée par une entité participante, qu’on appellera experiencer, qu’elle soit unique, ou que la position comprenne deux entités ; dans ce dernier cas, l’entité non marquée sera appelée objet :
e     experiencer, rôle unique ou marqué de Position
o     objet, rôle non marqué de Position
Emmanuel (e) se tient debout       Emmanuel (e) regarde le tableau (o)

Un procès élémentaire comprend deux EdCh, et un procès non élémentaire est souvent réduit aux EdCh initial et final ; on affectera l’EdCh initial (et ses rôles) de l’étiquette source et l’EdCh final (et ses rôles) de l’étiquette but [goal], notions non locatives, mais temporelle (avant, après, Nilsen 1972 : 43) :

so     objet-source, objet dans l’Etat initial
go    objet-but, objet dans l’Etat final
so+, go+, so-, go-, pour les procès à 2 participants
la feuille (o) tombe
l’homme (so) devient poussière (go)
la feuille(o+) tombe de l’arbre (so-) à terre (go-)

La différence entre action et acte est sans effet sur la détermination des rôles. L’entité qui contrôle le procès peut être simple ou composite, dédoublée en deux, marquée et non marquée. L’entité marquée correspond à l’intention, volonté, responsabilité ; l’entité non marquée est dépendante, ‘émise’ par l’entité de contrôle suprême, dont elle est une sorte de prolongement matériel. Ces postulats correspondent au cas typiquement humain d’action conduite au moyen d’un outil.
L’agent est l’entité de contrôle suprême ; l’entité qui, contrôlée par l’agent, contrôle par délégation le procès est l’instrument, au sens général. L’instrument est objet par rapport à l’agent (l’agent agit sur l’instrument) et quasi-agent par rapport à l’objet (il agit sur l’objet).
a    agent, entité contrôlante marquée du procès
i     instrument, entité contrôlante non marquée du procès
Marie (a) casse le pain (so) en morceaux (go)
Marie (a) déplace le livre (o+) de la table (so-) à l’étagère (go-)
Marie (a) utilise un couteau (o)
Marie (a) coupe le jambon (so) en tranches (go)
Marie (a) coupe le jambon (so) en tranches (go) avec un couteau (i)

Les rôles les plus ‘actifs’ sont ceux qui forment le ‘complexe agentif’ (Grimes 1975 : 126-133) :
L’agent contrôle le procès, seul ou via le contrôle exercé sur une autre entité.
L’instrument contrôlé par l’agent, contrôle le procès.
L’experiencer, unique ou rôle marqué de position, contrôle une situation statique où il se trouve, et éventuellement sa relation à une entité non marquée.
Les objets sont par définition ‘passifs’, et Dik (1978 : 38) ne voit ‘aucune bonne raison d’assigner aucune fonction sémantique particulière à de tels arguments.’
Source et goal sont des étiquettes complémentaires, qui remplacent, à l’intérieur de la prédication, des variables de validité temporelle ; elles signifient à peu près ‘rôle à telle date’, mais ne constituent qu’une datation relative, c’est-à-dire intensionnelle.
Locus et temps sont également traités, dans le discours, de manière implicite (sous-entendu d’espace continu, par exemple), ou relative (succession des énoncés partiels, et situation par rapport à l’instant d’énonciation) ; ces références intensionnelles à la situation de communication suffisent ordinairement à éviter les ambiguïtés et à référencer correctement le texte.
Les rôles sont des notions logico-sémantiques, déductives, donc universelles. Les différentes langues les représentent de manière variable : elles en privilégient ou en isolent certains, en opposent ou en amalgament d’autres. Les marques peuvent être les cas d’une déclinaison (d’où le nom de cas profonds parfois donné aux rôles), des constructions préposition + nom, des mises en ordre syntagmatique, ou des combinaisons de ces procédés.

Les variables de tous les rôles peuvent être couvertes par des constantes complexes (un EdCh complet : un sommet de graphe comme sous-graphe partiel développé).
Les EdCh servant de constantes pour les variables de rôles Locus et Temps correspondent aux ‘propositions circonstancielles » ; dans les deux cas, un EdCh (en fait, ses coordonnées spatio-temporelles) délimite le domaine de validité (extension) d’un autre EdCh :
nous sommes là où vivaient les héros d’Homère
je viens de là où tu as fait tes études
je vais là où je pourrai lire tranquille
je prends un café en allant à mon travail
Jean lit pendant que Paul écrit
j’ai fini avant que tu n’arrives
tu iras au cinéma quand tu auras fait tes devoirs

Le rôle instrumental couvert par un EdCh complet correspond à la notion courante de manière :
je marche en écartant les bras
Les autres relations, cause, conséquence, etc. peuvent toutes se formuler dans les mêmes termes : deux prédications, avec leurs modalisations et leurs coordonnées spatio-temporelles, sont mises en relation d’une manière plus ou moins intime. Tous les cas mentionnés ne sont que des traitements particuliers d’un cas général, la corrélation de deux prédications. Ce qu’on appelle ‘subordination’ n’est souvent qu’une manière d’indiquer simultanément (a) une corrélation entre deux prédications, et (b) une co-contrainte à laquelle sont soumises les deux prédications (ordre temporel, couverture de variables par des constantes co-référentes, etc.).


6. Enonciation et énoncé
Une proposition a la structure profonde suivante:
               Pc ® cuf (t, l, Pn)
               Pn ® Préd (A, B, ...)
Le cadre propositionnel (Pc) comprend des coordonnées de Temps et Lieu, et un noyau propositionnel (Pn). Lorsqu’une proposition est énoncée, elle a la structure profonde suivante, variablement réalisée:
(a) Pccom ®    cuf (tcom, lcom, Pncom)
(b) Pncom          ®           com (Loc, Alloc, Pmod)
(c) Pmod    ®    MOD (Agmod, Patmod, Pcdescr)
(d) Pcdescr        ®           cuf (t, l, Pndescr)
(e) Pndescr        ®           Préd (A, B, ...)
Ces formules peuvent être paraphrasées comme suit:
(a) [proposition cadre de communication] en un temps de communication et un lieu de communication, c’est un fait que
(b) [proposition noyau de communication] Locuteur à Allocuté communique que
(c) [proposition simplifiée de modalisation] Agent de modalisation fait que Patient de modalisation considère qu’il est (modalité) que
(d) [proposition cadre descriptive] en un temps T et un lieu L c’est un fait que
(e) [proposition noyau descriptive]...
Sauf marquages particuliers
– le temps et le lieu de la communication sont ICI et MAINTENANT, le Locuteur est JE (celui qui dit je) et l’Allocuté TU (celui à qui il est dit tu) ;
– l’Agent de modalisation, qui fait que X considère que P est (modalité), est souvent indéfini et sous-entendu ;
– le Patient de modalisation est généralement le Locuteur lui-même ;
– temps et lieu de modalisation sont confondus avec ceux de la communication.
La proposition superordonnée est la proposition de communication. La proposition modale intercalée entre celle-ci et la proposition descriptive, et qui définit sous quelle modalité est présenté le monde décrit, est une proposition constitutive de monde : c’est elle qui définit l’attitude du locuteur à l’égard du monde qui sera décrit dans la proposition descriptive. Les verbes dire, raconter, affirmer sont des verbes de communication, croire, aimer, sont des verbes constitutifs de monde, ordonner, annoncer, approuver, sont des amalgames de prédicats de communication et de constitution de monde.


6.2. Marquages de l’énonciation
Le marquage énonciatif associe les noms personnels (je et tu), certains adverbes (ici, ), et les démonstratifs.
La communication définit un espace abstrait, composé de zones progressivement englobantes: la zone du JE, la zone du TU, la zone de communication JE-TU qui contient les deux premières, la zone référentielle du IL dont on parle, la zone englobant les zones JE-TU et IL.
A ces zones sont affectés des démonstratifs, qui indiquent si un objet énoncé appartient à l’espace du Locuteur, de l’Allocuté, des deux, à l’espace extérieur ; les adverbes, les démonstratifs et les pronoms, jouent un rôle déictique (d’indication), et servent à montrer par le discours :

(a) prends cette veste(-ci)     (que je tiens)
(b) donne-moi ce couteau     (que tu tiens)
(c) regarde cette auto-là       (qui est là-bas)
(d) viens ici                    (où je suis)
(e) je viens là                 (où tu es)
(f) j’étais là-bas            (loin de nous deux)
(g) donne ici                  (i.e. à moi)


6.2.2. Le marquage temporel
Dans la notion de temps, on peut distinguer
(a) une visée déictique, qui situe le référent de l’énoncé par rapport à l’instant de l’énonciation : c’est une chronologie absolue ;
(b) une visée référentielle, qui situe les EdCh les uns par rapport aux autres : c’est une chronologie relative ;
(c) une visée aspectuelle, qui rend compte du ‘regard’ de l’énonciateur sur le déroulement du procès énoncé.
Les données temporelles forment l’échafaudage de l’énonciation, et je suivrai les analyses de Petöfi (1977, 1978) pour définir les mondes énoncés. Soit un axe orienté (temporel) sur lequel est placé l’instant 0 de l’énonciation :


Schéma 9
Marquage temporel

Dans la situation d’énonciation ‘normale’, le temps de communication tcom et le temps de modalisation tmod sont identiques ; en revanche, la relation entre temps de l’énonciation et temps du monde décrit définit plusieurs classes de mondes énoncés :
(a) W– est défini par la formule PRECEDE (tdescr , tcom), et est introduit, par exemple, par ‘se rappeler’, ‘raconter’ ;
(b) W+ est défini par la formule PRECEDE (tcom , tdescr), et est introduit, par exemple, par ‘annoncer’, ‘prévoir’, ‘espérer’ ; un énoncé comme ‘j’espère que Judith a pris ses baskets’ doit être analysé comme :
[je dis maintenant que [j’espère maintenant qu’[il sera un fait après que [Judith prendre ses baskets avant [que je sache [si elle l’a fait]]]]]] ;
(c) W= est défini par la formule SIMULTANE(tdescr , tcom), et est introduit, en particulier, par les verbes de perception, ‘voir’, ‘entendre’, ‘sentir’ ;
(d) W est un monde non défini par rapport au temps de la communication et est introduit, par exemple, par ‘croire’, ‘supposer’, et en particulier par les modalisations combinées avec la négation ; mais il est évident que les modalisations, même négatives, peuvent toujours dominer des mondes temporellement définis ;
(e) W° est un monde toujours valide, il est généralement, en français, marqué par le temps verbal présent, comme dans ‘l’homme est un animal vertical’ ; un EdCh considéré ainsi peut d’ailleurs être corrélé à un autre : ‘l’homme était un animal vertical, alors que le singe marchait encore à quatre pattes’.


6.2.3. Modalisation de l’énonciation
Dans l’énonciation, un rôle déterminant est joué par la modalisation, qui constitue le monde décrit. La combinatoire modale (3.1.) servira de base pour une première classification de l’énonciation.
La forme de la proposition modale est
Pmod ® [f*co*MOD] (A : amod, B : o+mod, C : o-mod : Pdescr)
[agent modalisateur cause que patient coïncide avec le fait qu’il est [modalité] que P]
Chaque fois que je communique, est superordonnée à toute autre modalisation possible une modalisation [f*co*k] qui enregistre le fait que [je communique que ... je suis certain que...], et en d’autres termes, que je dis ce que je pense, que je suis sincère.
Dans le tableau suivant sont mis en regard les verbes ‘performatifs’, ou ‘communicatifs’, qui signifient [je communique qu’à mes yeux il est [modalité] que …], et les verbes ‘modaux’, qui signifient [à mes yeux il est [modalité] que …].
Complexe modal
Communicatif
Modal
k
affirmer
assumer
neg*k
contester
douter
k*neg
nier
exclure
neg*k*neg
admettre
admettre
O
ordonner
obliger
neg*O
ne pas ordonner
ne pas obliger
O*neg
interdire
prohiber
neg*O*neg
autoriser
permettre
g
féliciter
approuver
neg*g
ne pas féliciter
ne pas approuver
g*neg
blâmer
déplorer
neg*g*neg
autoriser
tolérer

(Remarque : les termes mis en regard des complexes modaux ne sont pas des items du lexique (ordinairement notés entre « ... », mais des noyaux de sens cognitif, notés au moyen de termes métalinguistiques empruntés à la langue naturelle.)
La combinaison de la modalité et de la visée temporelle est lexicalisable, comme dans le triplet ‘révéler, affirmer, annoncer’, qui représente la modalisation [f*co*k] combinée avec une visée temporelle resp. passée, présente et future. Les différentes langues traitent de manière diversifiée la combinaison de communication, modalisation et visée temporelle, qui constitue toujours une difficulté de l’apprentissage d’une langue étrangère.


6.3. Enonciation et buts de communication
L’énonciation peut être définie en fonction
(a) du contenu de la ou des propositions constitutives de monde, c’est-à-dire de la modalité correspondante,
(b) du rapport des domaines temporels de la communication, de la modalisation et de la description,
(c) des relations (notamment de coréférence) entre les entités participantes des différentes propositions de l’énonciation,
(d) du but de la communication.
Le rapport entre forme propositionnelle et but de la communication n’est pas fixe et nécessaire. Le problème des actes de langage a été posé par Austin (1960), Searle (1969), Miller-Galanter-Pribram (1960), Vendler (1970), Parisi-Castelfranchi (1976), Recanati (1979).

Trois buts principaux se combinent hiérarchiquement pour régler la construction du discours :
(1) obtenir l’attention de l’énonciataire
(2) informer
(3) demander
Des sous-programmes nuancent le discours : appuyer une requête = 1 + 3, favoriser l’attention, provoquer une déduction correcte, empêcher une déduction incorrecte, déclencher, et bloquer aussitôt, une inférence de l’interlocuteur (ce qui définit l’ironie, Genot 1989b), etc.
Je ne pose ici que le problème de la représentation propositionnelle directe du but de l’énonciation, et me borne à un exemple. Soit l’énoncé
Ferme la fenêtre !
Il représente à peu près ce qui est paraphrasé comme suit (en faisant abstraction des données de cadre) :
je te communique   que
je trouve souhaitable        que
obligatoirement     
il s’ensuive                           de
(je te communique que
je trouve souhaitable        que
tu fermes la fenêtre)        
                                               que
tu fermes la fenêtre          


En d’autres termes :
je te communique que [je te communique que je voudrais que tu fermes la fenêtre] pour que [tu fermes la fenêtre]
et enfin, sous une forme plausible :
Si je te dis que je voudrais que tu fermes la fenêtre, c’est pour que tu la fermes !

Cette représentation rend aisément compte des actes de langages indirects, comme :
Il fait un froid de canard !
qui, s’il n’est pas interprété comme une simple information sur le monde extérieur, peut être paraphrasé comme
je te communique que [je te communique que il fait très froid] pour que [tu fermes la fenêtre]

Si je te dis qu’il fait un froid de canard,
c’est pour que tu fermes la fenêtre !


Les postulats de sens introduits sont liés à la structure des EdCh, à la communication, à la modalisation, à la visée temporelle. Je les rappelle :
(a) un ensemble de prédicats monadiques, dont le seul argument est une proposition : les modalités k, O, g, L, l’opérateur neg ;
(b) deux prédicats dyadiques, f = contrôler et entr = de ... il s’ensuit ...
(c) un prédicat co = coïncider, qui a servi jusqu’ici pour construire le complexe prédicatif des modalités relativisées.
L’expérience de l’espace dans la prime enfance est décisive pour la constitution sémantique du langage. Il est couramment admis (Lyons 1980 : 311-324, Miller & Johnson-Laird 1976 : 29-75, Weinrich 1976, Vandeloise 1986) que notre expérience personnelle et sociale de l’espace est si importante, que nos catégories spatiales sont à la base de toutes nos catégories relationnelles abstraites.
Lorsque s’opère l’apprentissage linguistique et notionnel, la configuration anatomo-physiologique de notre corps est le filtre de la construction de notre monde, le régulateur qui nous pourvoit d’une axiomatique des catégories spatiales, et modélise définitivement notre épistémologie (Weinrich 1976). Les caractéristiques propres du corps humain, verticalité (acquise), symétrie différenciée, opposition avant bien contrôlé vs arrière moins contrôlé, perception propre de l’intérieur et de l’extérieur, de la forme de la tête propre (Weinrich), etc., commandent directement notre économie conceptuelle.

Parmi les premières oppositions sémantiques figurent trois couples d’oppositions :
ANT(érieur)          vs           POST(érieur)
SUP(érieur)          vs           INF(érieur)
INT(érieur)           vs           EXT(érieur)
Ces oppositions fournissent des prédicats dyadiques formulant des relations spatiales entre entités ou EdCh ; ces relations spatiales peuvent faire l’objet d’un processus d’abstraction (acquérir une valeur intensionnelle) et servir pour l’intuition temporelle et la conception de la causalité. Elles se combinent avec le postulat co pour indiquer des localisations relatives ; la proposition
P ® co*INT (A : mouche, B : boîte)
se lit : la mouche est dans la boîte.
Ainsi se construisent des notions dérivées : [inclure], [intersection], [limite].


Ce sont des notions déjà dérivées, d’une part des intuitions spatiales, comme je viens de l’indiquer, d’autre part de l’assignation de constantes temporelles de validité.
Ce sont donc, rigoureusement parlant, des théorèmes. Dès lors que l’on a plusieurs EdCh – dont celui qui est constitué par la situation de communication – il est commode de situer ces EdCh les uns par rapport aux autres, et d’abstraire, à partir des relations entre constantes, des significations intensionnelles. C’est ce que nous faisons lorsque, au lieu de dire hier il faisait 10° et aujourd’hui il fait 7°, nous disons aujourd’hui il fait plus froid qu’hier, et même, de manière plus synthétique la température a baissé, où ‘baisser’ signifie [passer de non froid à froid], [être plus froid après].
Il est commode de représenter les EdCh au moyen du seul noyau propositionnel, sans indiquer les constantes de validité. Le postulat entr est une représentation intensionnelle de la relation entre deux prédications dont les constantes de validité temporelles sont ordonnées :
P ® entr (A : P1, B : P2) équivaut à :
P1 ® cuf (...t : t1, ...)
P2 ® cuf (...t : t2, ...) pour
<t1, t2>
Le postulat entr est normalement dyadique ; mais il peut être employé avec ‘effacement’ de la première prédication, comme prédicat monadique :
P ® entr (A : P1, B : P2) pour
P1 ® Æ et
P2 ® préd2 (...) on pourra écrire
P ® entr*préd2 (...)

Remarque. Cette tolérance recouvre la distinction entre état et événement et correspond au postulat [advenir], formulé [become], [come about] (Lakoff 1970 : 71 sqq, McCawley 1971), ou [cambia] (Parisi-Antinucci : chap. 4).

J’appellerai sim(ultanément) un prédicat ‘fantôme’ qui servira seulement à noter que les constantes temporelles de deux (ou n) EdCh sont identiques. C’est un dérivé du postulat abstrait co, à lire, donc [coïncider et avoir même valeur temporelle].
Les compositions de entr, sim, co, et neg fournissent la représentation intensionnelle de ce qu’on appelle aspect, visée sur la portée temporelle des EdCh, contenue dans ‘commencer’, ‘cesser’, ‘continuer’, et aussi ‘déjà’, ‘plus’, ‘encore’, etc. (Miller & Johnson-Laird 1976 : 442-456).


7.4. Le théorème vel
Le postulat vel sert à donner une représentation formelle de la parenté entre des énoncés comme :
(a) je me demande si Jacques lit ou dort
(b) voulez-vous me dire l’heure ?
Dans les deux cas, la paraphrase semi-analytique a une forme semblable, la manifestation se faisant avec des ‘effacements’ différents :
(a) [je communique que [qch fait que pour moi il est souhaitable que [qch fait que pour moi il est certain que [vel [Jacques lit], [Jacques dort]]]]]
(Je dis que), que Jacques dorme, ou qu’il lise, j’aimerais le savoir est une autre ‘version’ ou énonciation, correspondant à un autre acte de communication (une autre ‘intention’).
(b) [je communique que [qch fait que pour moi il est souhaitable que [qch fait que pour moi il est certain que [vel [vous voulez me dire l’heure], [vous ne voulez pas me dire l’heure]]]]]

Je vous dis que je voudrais savoir si vous voulez me dire l’heure ou si vous ne le voulez pas, est une autre version, par exemple une réponse emphatique et ironique à une demande de répétition.
vel peut être utilisé comme ‘faux’ prédicat monadique, notamment quand les deux propositions liées ont un contenu identique, à neg près :
P ® vel (A : P1, B : P2) pour
P1 ® préd (...) et
P2 ® neg*préd (...)
(en abrégé :P1 ® neg*P2)
Il est alors possible d’ ‘effacer’ P2 :
P ® vel (A : P1, B : P2) pour
P1 ® préd1 (...) et
P2 ® Æ
on pourra écrire
P ® vel*préd1 (...)
Ce qui correspond aux différentes formulations de l’interrogation, du doute, etc.

La relation de degré entre EdCh (ou plutôt entre certains des prédicats qui les définissent) a été mentionnée précédemment (4.4.3.) ; on peut la formuler au moyen d’un postulat qui est maj = [à un degré supérieur] ; c’est un prédicat dyadique, qui lie deux propositions :
P ® maj (A : P1, B : P2)
P1 ® j’écris des livres
P2 ® tu lis des livres

le résultat sera
P ® [[j’écris des livres] plus que [tu lis des livres]
par exemple
J’écris plus de livres que tu n’en lis
Ce postulat sert à formuler des notions comme celles qui sont représentées lexicalement par ‘meilleur’ ‘préférer’, ‘plutôt’.
Tout comme entr et vel, le postulat maj peut être utilisé, notamment quand les propositions ont même contenu, comme ‘faux’ prédicat monadique ; il équivaut alors à [à un degré supérieur à la normale]. Ce postulat sert alors à formuler des notions comme celles qui sont représentées lexicalement par ‘grand’, ‘gros’, ‘très’, ‘beaucoup’.

Les postulats et théorèmes sont répartis en 5 catégories :
A = prédicats monadiques, argument propositionnel (P)
B = prédicats dyadiques utilisables comme prédicats monadiques ; argument(s) propositionnel(s)
C = prédicat dyadique, arguments propositionnels
D = prédicat dyadique, deux arguments propositionnels ou premier argument individuel (A)
E = prédicats dyadiques, arguments individuels ou propositionnels


Cat.
Symb.
Mon.
Dya
P
A
traduction 

L
+

+

nécessaire

k
+

+

certain
A
g
+

+

souhaitable

O
+

+

obligatoire

neg
+

+

non








entr 2

+
+

s’ensuivre

entr 1
(+)

+

advenir
B
vel 2

+
+

ou

vel 1
(+)

+

si, est-ce que..?

maj 2

+
+

plus que

maj 1
(+)

+

beaucoup, très







C
sim

+
+

simultanément







D
f

+
+

causer



+
+
+
contrôler








co

+
+
+
coïncider

ANT

+
+
+
antérieur à

POST

+
+
+
postérieur à
E
SUP

+
+
+
supérieur à

INF

+
+
+
inférieur à

INT

+
+
+
intérieur à

EXT

+
+
+
extérieur à

Postulats de sens










Chapitre III
Représentation sémantique
et manifestation lexicale



J’ai brièvement expos‚ quelques hypothèses sur le rapport entre logique, grammaire et lexique (1./2.6.). Je reprends ici le problème de manière un peu plus détaillée.

Nous convenons que l’intension d’une phrase sera la proposition désignée par cette phrase, et que son extension sera sa valeur de vérité [...] la valeur de vérité d’une phrase a un rôle semblable à celui de la classe d’individus correspondant à un prédicat. Carnap 1958 : 40
Je ne pose pas le problème de l’extension du lexique, qui est l’ensemble des entités du monde qui peuvent servir de référence aux items du lexique ; sa définition n’est pas du ressort du linguiste :
L’extension d’un terme ne peut être découverte ou décrite par le linguiste qua linguiste ; c’est le travail des autres disciplines. Guenthner 1977 : 109
Je distinguerai la nomenclature de la taxinomie. La nomenclature se trouve dans les dictionnaires du type Bildwörterbuch Duden, tandis que la taxinomie opère des classements (quelle qu’en soit la base). Alors que la nomenclature fait correspondre immédiatement des lexèmes à des entités du monde, la taxinomie opère une médiation, construit et exprime un système ; les unités de la nomenclature sont des unités lexicales, celles de la taxinomie sont conceptuelles, dès lors qu’elles servent à se co-définir.
Le modèle propositionnel reste fondamental, car il représente formellement cette médiation ; les unités conceptuelles qui servent à construire les taxinomies sont des traits, c’est-à-dire, en dernière analyse, des prédicats élémentaires susceptibles de se composer. La taxinomie relève de l’analyse componentielle, la nomenclature se fonde sur l’intuition des référents (Hutchins 1971 : 5).
Toutefois, si pour des objectifs scientifiques (classements, documentation, traduction, métalangage), l’analyse strictement componentielle menée au moyen de postulats est requise, dans la perspective de la logique naturelle et de l’usage ordinaire du langage, cette analyse doit rendre compte des taxinomies ordinaires et, aussi, de l’intuition des référents. Les référents du  lexique ne constituent pas nécessairement des classes naturelles, du moment que la communauté peut choisir de regrouper des objets qui, sur la base de critères scientifiques devraient être distingués (Hutchins 1971 : 5). C’est le cas des poissons et des baleines. Mais d’autre part ce sont justement ces classements, différents de ceux qu’impose la science la plus avancée, qui permettent de cerner en termes objectifs la vision du monde d’une communauté, son encyclopédie, sa culture.

Par ailleurs, même si les bases cognitives sont différentes, les taxinomies ont toutes un caractère commun :
[...] les taxinomies populaires – celles de nos cultures comme celles des cultures primitives – ne sont pas structuralement différentes des taxinomies scientifiques. [...] toute taxinomie, toute hiérarchie conceptuelle en laquelle se structure une partie de nos connaissances, est en quelque sorte dominée par une science ou une technique , c’est-à-dire par une vision en tout cas structurée et hiérarchisée de l’univers. Cette science-technique , pour chaque période historique, est toujours la plus développée pour cette période, même si des visions plus traditionnelles continuent à exister et à influencer l’organisation des concepts. Alinei 1974 : 25, 187
La question des ‘universaux’ – des catégories qui seraient valables pour toutes les langues – s’en trouve déplacée. On ne peut postuler de ressemblance autre que contingente, superficielle, trompeuse, entre des constitutions sémantiques complexes appartenant à deux cultures différentes ; en revanche, le postulat d’une dialectique des ‘traits dominants’ (Alinei 1974 : 188) déterminés par le développement historico-social, laisse le champ ouvert pour la recherche de véritables universaux, qui puissent être tels à deux conditions :
(a) il doit s’agir de notions simples, atomiques, indécomposables en notions plus simples, et, du même coup, indéfinissables comme les notions primitives mathématiques ;
(b) ces notions doivent être liées aux seules données humainement universelles, les données anatomo-physiologiques, comme la verticalité, la symétrie, la différence (de contrôle) entre face et dos, etc., et  en outre saisir ces données au plus près de la perception de soi, c’est-à-dire comme dans les premiers temps de l’existence, avant leur prise en charge par l’espace social interactionnel et le flux de l’histoire (Vandeloise 1986).


1.2. Systémicité et analyticité
Un point fondamental est que, dans cette perspective, le lexique est un système :
Le lexique tout entier se révèle être organisé en grands ensembles de lexèmes. Aucune unité lexicale ne reste isolée. Le principe de hiérarchie domine tout le lexique.
Alinei 1974 : 37
Si le principe hiérarchique est dominant, et si, pour conserver la distinction entre nomenclature et taxinomie, on définit le lexique au plan intensionnel, on lui assigne un rôle limité dans la constitution d’une théorie linguistique :
Le rôle du lexique dans une sémantique systématique est de spécifier le sens des expressions de base ; une fois que celui-ci est donné, le sens des expressions plus complexes peut être déterminé récursivement à partir de là.
Guenthner 1977 : 107
Mon objectif n’étant pas purement théorique, j’assigne au lexique l’étude des opérations de composition d’expressions complexes, de leur résultat, et du rapport entre expressions complexes (‘mots’) et structures logiques sous-jacentes (prédications, ‘propositions’,). Le rapport entre ‘mots’ et complexes de traits sémantiques est le plus souvent d’une énorme complexité, qu’il est illusoire de prétendre reconstituer synchroniquement et encore plus diachroniquement ; toutefois, le principe qui soutient ce rapport est simple :
les items lexicaux ne peuvent pas être indécomposables en ce qui concerne la forme logique des phrases dans lesquelles ils apparaissent. La question qui se pose est donc de savoir quels sont les items lexicaux décomposables et en quoi ils sont décomposés. Lakoff 1970 : 72

Il faut alors prendre la précaution de faire le parcours dans le sens interprétatif (quitte à le retourner ensuite pour simuler le parcours génératif) ; en effet
A chaque concept ne correspond pas nécessairement une unité lexicale tandis qu’à toute unité lexicale doit correspondre une unité ou un ensemble conceptuel.
Alinei 1974 : 22
Pourtant, je suis persuadé que les unités conceptuelles ‘relativement simples’ qui peuvent servir d’axiomes (sans être à coup sûr indécomposables) sont représentées dans le lexique de la langue historico-naturelle, établissant un passage entre langage et métalangage. Je crois en outre que ces ‘notions fondamentales’ figurent dans les plus hautes fréquences du lexique de chaque langue. Mais je m’empresserai d’ajouter que
(a) certaines notions fondamentales ne figurent pas, étant représentées par des constructions et non par des items lexicaux (c’est le cas de l’état construit des langues sémitiques, correspondant au ‘de’ français) ;
(b) dans les hautes fréquences figurent de nombreuses notions complexes, décomposables, qui correspondent, ou ont correspondu, à des taxinomies spécifiques.


L’opération componentielle et l’usage d’axiomes font partie de l’usage ordinaire, ainsi qu’en attestent les paraphrases semi-analytiques et les définitions spontanées de la conversation. En réalité, les définitions lexicales des dictionnaires traditionnels, qui ne sont que des généralisations de l’usage courant, constituent ‘une image approximative et rudimentaire de définitions formelles en traits’ (Alinei 1974 : 31). Dans un dictionnaire, et occasionnellement dans l’usage courant, des lexèmes fonctionnent comme traits discriminants, et non comme signifiants renvoyant à des classes de référents. A la paire ‘chien/chienne’ correspond ‘hirondelle’-mâle/’hirondelle’-femelle ; ‘mâle’ et ‘femelle’ sont ici des traits, des éléments componentiels, d’ailleurs complexes. Autre exemple : Emmanuel, 2 ans, voit pour la première fois un zèbre et le nomme ‘cheval-tigre’, ou plutôt ‘cheval’-[tigre], ‘tigre’ équivalent ici au trait [rayé]. Les traits, selon Alinei (1974 : 156), sont
des lexèmes qui ont changé de fonction et sont devenus la base de création de nouveaux lexèmes.
La circularité du dictionnaire, plus qu’un défaut accidentel relevant de la négligence, est une particularité nécessaire due au fait que les termes se codéfinissent, puisqu’ils sont des sous-systèmes dans un système qui est celui de la totalité du lexique. Mais la circularité met également en évidence un autre fait, tout aussi décisif : pour expliquer la ‘sortie’ du dictionnaire, il faut bien supposer que certaines unités lexicales fonctionnent ordinairement comme des axiomes, sont compréhensibles sans analyse ni définition ; c’est ce fonctionnement axiomatique qui assure ‘le rapport du lexique avec le réel’ (Alinei 1974 : 200).
Wierzbicka discute et propose les candidats suivants (la manifestation lexicale est secondaire) : want, diswant, think of, imagine, say, become, be a part of, something, someone, I, you, world, this (1972 : 16). On remarquera que le couple de postulats want/diswant permet de calculer la notion [négatif], sous la forme dis-, qui est donc un théorème très tôt intériorisé comme effet de la fréquence de ‘Non’ adressé aux enfants).

Alinei (1974, passim, v. 180-2) utilise pour structurer le champ lexical du [cheval], des catégories grammaticales qui reposent sur des postulats de sens, comme Sujet, Prédicat, Objet, De, Qui, Lieu où, Moyen par lequel, Semblable, Ensemble de, Produit de, etc.
Quels que soient les systèmes, le principe est toujours le même, et la méthode consiste à dégager les traits, jusqu’à isoler des termes qui fonctionneront comme postulats, par une analyse contrastive, comme par exemple ‘cheval’/’crinière’, qui permet d’atteindre la notion de [partie de]. (Beaugrande-Dressler 1982 : 95-7 ; Miller & Johnson-Laird 1976 : ch.7 ; Wilks 1977 : 204-221.)

1.3. Lexique : syntaxe et sémantique
Soit la suite d’expressions  :
j’aime me promener dans les bois                    j’aime me promener
j’aime la promenade dans les bois                   j’aime les promenades forestières
la promenade dans les bois, moi, j’aime ça  j’aime les bois pour m’y promener
j’aime les bois pour la promenade
Les catégories lexicales, représentées par ‘promener’, ‘promenade’, ‘bois’, ‘forestières’, etc. sont la manifestation simultanée de
(a) un ensemble de traits sémantiques (intension),
(b) un ensemble de traits syntaxiques, associés à une morphologie, qui sont, à ce niveau, des traits grammaticaux (comme [nom], [verbe], etc.), définissant une combinabilité, ou des disponibilités à remplir des fonctions d’actualisation morphosyntaxique,

(c) dans chaque occurrence, une propriété d’actualisation, qui est morphosyntaxique, comme [sujet], [complément], [verbe].
Le lexique doit être défini grammaticalement, il
devrait être ordonné d’une manière quelconque, et [...] devrait contenir une information sur les traits ou catégories morphologiques et syntaxiques de chaque entrée. Guenthner 1977 : 107.
Mais on ne peut se limiter à considérer le lexique comme un réservoir d’items individuels (fussent-ils groupés en systèmes sémantiques et en classes morphologiques) qui n’auraient avec la syntaxe qu’un rapport interprétatif, une fonction de remplissage de ‘cases’ des structures proprement syntaxiques.
Le problème est plutôt de mettre au jour la structure syntaxique sous-jacente à chaque item du lexique. Pour cela il est nécessaire de rappeler quelques données sur l’apprentissage linguistique, et sur la dialectique de l’intériorisation des catégories de l’action et du langage.


[Remarque. Dans les extraits suivants, le terme de ‘lemme’ peut être entendu sans inconvénient comme équivalent de mon emploi de ‘lexème’.]
Tandis que la composante syntaxique, chez Chomsky, est donnée une fois pour toutes, pour nous elle connaît trois stades de développement, dont seul le dernier coïncide grosso modo avec celui de Chomsky. [...]
Le premier stade est le stade pré-linguistique. A ce stade, la composante logico-syntaxique préside à des « actions » coordonnées en vue d’une fin. [...]


Le second stade est le stade « lemmatique » ; il advient lorsque l’enfant a acquis la maîtrise du mécanisme de la « dénomination » et se trouve par conséquent en mesure de « donner un nom à chaque chose », de créer des lemmes. [...] A ce stade, la composante logico-syntaxique s’est intériorisée, elle ne dirige plus des « actions », mais elle n’engendre pas encore des phrases, ou, pour mieux dire, elle engendre des phrases qui sont des « lemmes ». [...] chaque lemme correspond à une « phrase » ou, si on veut, à un « cocon de phrase », une phrase cachée dans son enveloppe. [...] les phrases produites alors sont des phrases qui consistent en un seul terme. [...] ce stade est conservé et entre en fonction par la suite chaque fois que l’homme adulte doit « recréer », c’est-à-dire apprendre un lemme. En outre, c’est à ce stade que la composante logico-syntaxique assigne une catégorie grammaticale à chaque lemme engendré. [...] Cela implique que le symbole initial, à ce stade, ne se scinde pas en Nom et Verbe, comme l’estime Chomsky, mais en Sujet et Prédicat. Les catégories de Nom et Verbe n’existent en effet pas encore ; comme les lemmes, elles sont le résultat de ce processus complet, et non son origine.[...]
A ce [troisième] stade, l’opposition entre Sujet et Prédicat et les autres qui en découlent, qui dans le processus de lemmatisation avaient été « dépassées » dialectiquement par la découverte du lemme, reviennent au premier plan ; mais elles y reviennent maintenant avec tous les éléments acquis lors du second stade, c’est-à-dire avec les lemmes et les catégories grammaticales qui les différencient.
C’est à ce stade, et seulement à celui-ci, que la composante logico-syntaxique peut donc opérer directement sur les Noms et sur le Verbes et les autres catégories grammaticales, et non plus sur Sujet, Prédicat et autres catégories logico-syntaxiques. Le symbole initial peut donc désormais se scinder en Nom et Verbe, qui sont des représentations abstraites bien plus complexes que celles, simples, de Sujet et Prédicat, tout en conservant également la fonction initiale de ces deux catégories logiques et des autres qui les modifient. Alinei 1974 : 205-6

1.3.3. Grammaire du lexique
Le lexique est un résultat, le produit d’une suite d’opérations cognitives, sémantiques, logiques, syntaxiques ; il correspond à un stade de développement, mais retient la mémoire des précédents.
Pour nous le lexique est le résultat d’une grammaire autonome, entièrement holophrastique, qui est la première à se former chez l’enfant et qui perdure chez l’adulte comme mécanisme spécifique de l’apprentissage lexical. Alinei 1974 : 220
La relation entre sémantique et syntaxe est de nature dialectique. La capacité d’interpréter et de (re)produire n’est pas ‘innée’ (ou la question de l’innéité n’a pas de place dans la théorie) ; elle ne nous intéresse que comme exercice de la vie sociale, dans l’interaction des discours et de leurs contreparties économiques qui servent de tests de leur bonne formation. C’est cette interaction qui peu à peu constitue les constantes formelles de la langue. La syntaxe s’acquiert ‘par’ l’action, par l’intériorisation de catégories qui régissent des programmes économiques. Ces catégories, abstraites et ainsi libérées de leur contexte immédiat, s’articulent en un système qui acquiert progressivement son autonomie. Cette vue, qui repose sur une théorie ‘narrative’ de la grammaire, sous-tend la théorie ‘grammaticale’ du récit qui sera développée dans la suite.


Le rapport syntaxe/sémantique, tel qu’il s’institue dans la synthèse lexicale, est un mécanisme de calcul, semblable à ces procédés qui, pour des opérations très fréquentes et des valeurs très courantes, mémorisent des résultats locaux en formules partiellement chiffrées (valeurs constantes) et partiellement littérales (valeurs variables).

Les lemmes sont donc les formes synthétiques et abrégées de propositions ou de périodes . Dans le discours nous nous exprimons au moyen de mots qui sont en réalité des phrases exprimées sous une forme abrégée et qui conservent en partie la complexité de leur structure cachée . [...] Les lemmes, en réduisant et comprimant des propositions et des périodes en unités minimales, n’éliminent pas toute leur complexité différenciée, mais en préservent une partie : c’est cette partie qui continue à se manifester dans les catégories grammaticales, comme propriétés communes des types lemmatiques. Alinei 1974 : 179
Ce qui se conserve, c’est une disponibilité logico-syntaxique ; un ‘verbe’ est une proposition devenue capable d’entrer dans une construction propositionnelle avec une certaine fonction, au plan du discours, et dans une construction lexicale comme trait.
La mémoire de discours entiers est déposée dans un mot : en fait foi la capacité qu’a le locuteur normalement constitué (psychologiquement et socialement) de reconstituer l’intension d’un mot, par analyse, énumération d’inférences, etc.
Une conséquence assez intéressante est que des énoncés d’un ‘mot’, comme ‘Stupéfaction!’, ‘Entrée’, ‘La fenêtre!’, ne sont plus à considérer comme des ‘extraits’ de phrases (des phrases incomplètes, tronquées), mais comme des ‘concentrés’ ; les phrases dites ‘complètes’ ont une forme superficielle qui s’apparente à la forme propositionnelle développée de la prédication en quoi s’articule et se conserve le sens.


1.3.4. La ‘double articulation’ du lexique
Il y a donc une double articulation syntaxique du lexique :
Le lexique n’est donc pas un simple instrument et matériau de la production du discours linguistique, il est lui-même une première forme de discours articulé sur le monde, qui devient ensuite la plate-forme pour une seconde et dernière forme de discours. Alinei 1974 : 207
La construction d’une ‘phrase’ au moyen de noms, adjectifs, verbes, prépositions, conjonctions, adverbes, etc. est donc la même opération que la composition (coordination et subordination) de ‘phrases’ pour composer un discours. Dans les deux cas on compose des prédications de forme récursive, les unes synthétisées en unités lexicales minimales, les autres reliant entre elles ces unités sous une forme calquée sur la forme propositionnelle, simplification de la RS. L’opposition phrase/texte se résorbe dans la distinction entre les deux articulations.


L’opération fondamentale de la génération du discours est la simplification de la RS en une énumération d’entités et une composition de relations binaires qui, complétée par la topicalisation, ‘prépare’ la RS pour une prise en charge syntaxique. L’assignation simultanée de la catégorie lexicale (concentré intensionnel) et de la catégorie grammaticale (disponibilité syntaxique), c’est-à-dire la synthèse d’un ensemble de traits sémantiques en une morphologie affectée de traits combinatoires, insaisissable comme processus dans l’acte de parole de l’adulte locuteur natif, peut être partiellement reconstituée (en observant l’apprentissage de l’enfant), et se retrouve remise en vigueur dans l’activité linguistique de l’adulte chaque fois qu’entre en jeu une situation de crise et/ou de créativité.

La ‘compétence’, sémantique et syntaxique, est acquise par l’enfant lors de son développement, dans une complémentarité de l’apprentissage moteur et de l’apprentissage linguistique.
L’image du corps propre et de l’espace qui l’environne s’ ‘imprime’, comme les catégories du système phonologique, et fournit les premières catégorisations qui serviront de soubassement aux constructions sémantiques plus complexes. Les prépositions sont la trace dans le lexique de cette expérience de la première enfance, et représentent un ensemble d’axiomes et de théorèmes de sens dont l’importance est attestée par leur fréquence dans le lexique (sous forme directe, ou comme constituants de mots très fréquents comme les verbes spatiaux).
Après des suites de gestes programmés en vue d’un objectif économique (se nourrir, se faire nettoyer, puis capter un objet dans l’espace corporel, etc.), l’enfant devient capable de corréler des énoncés holophrastiques à des situations d’interaction. La capacité d’expression et de communication de l’enfant n’est pas d’autre nature que celle de l’adulte, elle s’exerce seulement dans une dimension limitée par la complète dépendance matérielle (notamment motrice) et affective.
‘Imitation’ et ‘création’ sont des termes de niveau différent, qui ne peuvent pas vraiment être articulés en avant et après. ‘Imitation’ concerne le rapport entre l’enfant et les adultes ; ‘création’ concerne l’action linguistique et le travail mental de l’enfant, son rapport au langage, l’assignation des catégories.

La notion d’ apprendre ne s’applique qu’à l’aspect imitatif du processus lexical, celui qui porte l’enfant à répéter les expressions linguistiques qu’il entend autour de lui. En réalité, l’enfant crée des lemmes en ce sens qu’il saisit à travers eux – indépendamment de la langue dans laquelle ils se réalisent – le rapport entre un aspect déterminé de la réalité et le signe appris par lui. Alinei 1974 : 223


La ‘création’ est la décision par laquelle l’enfant (et définitivement le sujet, même adulte) construit (personne ne le fait pour lui) une relation entre un lexème, ou toute autre expression linguistique, qu’il peut imiter, et une situation.
Le goût des enfants pour la répétition des mots qu’ils viennent d’apprendre est un comportement scientifique d’expérimentation systématique : il s’agit de tester l’opérativité de l’expression, d’exclure les situations interactionnelles et les contextes linguistiques non rentables, en somme d’intégrer l’expression dans un système.
La lexicogenèse est continue dans l’usage ordinaire, par exemple dans la dérivation, mécanisme intermédiaire entre création lexicale et construction syntaxique : il est ainsi ‘permis’ à tout locuteur et à tout moment de construire un ‘mot’ au moyen d’un mot existant et du préfixe ‘re–’, ou ‘anti–’. Que le lexème résultant soit ‘nouveau’ (qui pourrait l’assurer?) ou ‘déjà existant’ (avec quel statut, sous quelle autorisation?), le mécanisme imitatif (de construction) et créatif (d’assignation à une situation) reste, chez l’adulte, le même que chez l’enfant, et constitue cet apprentissage continu qui sous-tend la ‘compétence’, laquelle n’est pas une possession statique, mais une aptitude à la décision.

Cette (re-)création continue ne peut toutefois se poursuivre que dans un contexte socio-culturel qui assoit les formations lexicales et les constructions syntaxiques, c’est-à-dire l’ensemble des formulations linguistiques, sur des fixations conventionnelles à forte motivation économico-symbolique, les stéréotypes.
C’est la représentation d’un objet choses, gens, idées [...] partagée par les membres d’un groupe social avec une certaine stabilité. Il correspond à une mesure d’économie dans la perception de la réalité puisqu’une composition sémantique toute prête, généralement très concrète et imagée, organisée autour de quelques éléments symboliques simples, vient immédiatement remplacer ou orienter l’information objective ou la perception réelle. Bardin 1977 : 52
Sans s’arrêter au caractère gauchissant et fantasmatique du stéréotype, on y reconnaîtra une forme d’EdCh, une structure cognitive acquise qui commande simultanément le comportement social et le langage, et en assure la co-régulation.


2. Les catégories lexico-grammaticales.
Les catégories grammaticales résultent de l’application d’une prédisposition combinatoire, une sorte de ‘valence’, à une unité qui synthétise une structure propositionnelle complexe. Une partie de cette complexité, c’est-à-dire un sous-ensemble des relations constituant la RS correspondante, émerge et devient ce que nous appelons catégorie grammaticale (Alinei 1974 : 179, cit. 1.3.3.).
On peut ainsi concevoir les unités lexicales comme l’émergence de structures (multi-)propositionnelles, et les catégories grammaticales qui leur sont assignées, comme la projection d’extractions partielles de ces structures. Par exemple, la catégorie grammaticale [verbe] représenterait une structure propositionnelle entière, affectée de propriétés qui seraient la projection des propriétés de la relation prédicat/arguments, et notamment la capacité d’intégrer la coordonnée de validité temporelle, certains marquages modaux, et une configuration de ‘compléments’. La catégorie grammaticale ‘nom’ représenterait une structure propositionnelle entière, dans sa globalité, comme ‘promenade’, ou réduite aux propriétés d’un argument dans sa liaison avec le prédicat : ‘lecteur’ représente approximativement [argument A de LIRE (A,B,...)].


2.2. Relations entre catégories grammaticales
Etant donné un ensemble de catégories grammaticales, on observe généralement :
 (a) que ces catégories grammaticales correspondent à une spécialisation, au moins tendancielle, dans certains rôles syntaxico-logiques, ou ‘fonctions’ ;
(b) que des opérations simples et fréquentes permettent de modifier le rapport catégorie/fonction.
Des mécanismes comme l’usage de prépositions devant les noms, la conjugaison pour les verbes, la ‘dérivation’, permettent de passer de n’importe quelle catégorie grammaticale à n’importe quelle autre, c’est-à-dire de faire varier la disposition combinatoire d’une même RS.
[...] notre intuition de locuteurs [nous dit] que ringhiare ringhio ringhioso ringhiosamente ont la même signification, indépendamment de la catégorie grammaticale dans laquelle ils se réalisent. Alinei 1974 : 52
[ringhiare etc. = (d’un chien) « gronder », « grondement », « hargneux », « hargneusement ».]

Ross (1972) parle de la ‘mélasse [squish]’ des catégories grammaticales, et établit la hiérarchie :
Verbe > Part. prés. > Part. passé > Part. passif > Adjectif > Préposition > Nom adjectival > Nom
Passer de gauche à droite le long du squish équivaut à aller vers l’inertie syntaxique et à s’éloigner de la zone de liberté et de mobilité syntaxique. Ross 1972 : 316

Tesnière consacre la moitié de ses Eléments de Syntaxe structurale à l’étude de la translation, définie comme
l’usage d’une catégorie grammaticale bien définie détournée de sa valeur propre. (Gougenheim 1933, cit. Tesnière 1966 : 383)
A partir de quatre catégories fondamentales :
O = nom, A = adjectif, I = verbe, E = adverbe,
Tesnière examine les translations simples, puis des cas allant jusqu’à une septuple translation. Cette opération se fait, soit avec marquage (cas, préposition), soit sans marquage, par distribution syntagmatique. Voici quelques exemples.
A ® O    un jeune, un poitrinaire, un moteur
E ® O    le bien, le mal
I ® O     [infinitif]
O ® A    de cœur, à barbe, cornélien, vache, type, vieille France
E ® A    de trop, d’aujourd’hui, de bien, bien
O ® E    à Paris, sous la table, avec Jacques, la bouche pleine
A ® E    sagement, (parler) haut, franc, (filer) doux
I ® E     [gérondif]
I ® A     [participes]
Les formes transférées se combinent :
un imbécile
de marmiton
=
un marmiton
imbécile
O ¬ A
A ¬ O

O
A
Les transformations n-uples sont parfois surprenantes quant à la simplicité du résultat, confrontée à la complexité démontrable du mécanisme sous-jacent :
double    A ®O ®E                             à l’anglaise
triple       I ®A ®O ®A                      de commandant
quadruple                                             I ®O ®E ®A ®O    un pourboire, l’avenir
quintuple                                              I ®A ®O ®A ®I ®I             (Jane) va être d’un troublant
sextuple E ®A ®O ®E ®A ®®O ®E                (vivre) dans l’a priori
septuple I ®O ®E ®A ®O ®I ®A ®O             faire l’affairé


2.2.2. La ‘déprédication’ (Saumjan)
Saumjan (1965 ; v. Guentchéva-Desclés 1976 : 117-189) a décrit les mécanismes de la dérivation en termes de calcul des prédications, et de ‘déprédication’. L’avantage théorique par rapport à Tesnière est que Saumjan a en vue une grammaire générative pourvue d’une structure profonde, alors que Tesnière ne parle que de transformations de surface, tout en prévoyant une distinction entre ‘catégories primaires’ et ‘catégories dérivées’, afin de rendre compte des valeurs habituelles ou dominantes des catégories grammaticales, et de leur actualisation dans l’énoncé.
Saumjan se situe au plan de passage de la SP à la SS. Il prévoit deux catégories, foncteurs et termes. Ce qui assure la souplesse, la créativité, en un mot le ‘réalisme’ du modèle, c’est qu’il n’y a pas de correspondance rigide (comme foncteur Û prédicat, terme Û argument), mais la possibilité de choisir une projection donnée, et de la modifier ; il existe tout au plus des préférences ou stéréotypes formels, qui servent de référence pour construire les énoncés.
Beaucoup de noms sont ainsi constitués par ‘déprédication’, en extrayant d’une proposition une relation partielle.
Soit la proposition
P ® ENGENDRER (A : x, B : y)
Le rapport N (A,préd), [argument A du prédicat ou 1er terme du foncteur ENGENDRER], constitue le nom ‘père’ ; le rapport N (B,préd), [argument B du prédicat ou second terme du foncteur ENGENDRER], constitue le nom ‘fils’.

Soit l’énoncé                    le torpilleur a coulé le cargo
Une SP correspondante peut être, par exemple (ce n’est pas la seule) – les variables figuratives sont étiquetées de a1 à a7:
P® cuf*CAUSER*ADVENIR*TOUCHER (l : a1, t : a2, a : a3, o+ : a4, so– : a5, go– : a6, i : a7)
[en un espace a1 et un temps a2, c’est un fait que a3 cause, au moyen de a7, qu’il advient que a4 touche, après a5, a6]
Les noms sont constitués / inférables comme suit :
N (préd)          ‘torpillage’              (ce qu’on fait)
N (l, préd)      ‘mer’                         (où on coule qch)
N (a, préd)     ‘torpilleur’              (qui torpille)
N (o+, préd)   ‘cargo’                      (quoi est coul[-able,-é])
N (so-, préd)  ‘surface’                   (à partir d’où on coule)
N (go-, préd)  ‘fond’                        (vers où on coule)
N (i, préd)      ‘torpille’                   (avec quoi on coule)


On remarquera que
(a) ‘mer’ n’est pas spécifique ; c’est le N (l, préd) d’un grand nombre de propositions possibles (tout ce qu’on peut faire en mer) ;
(b) ‘cargo’ est un nom qui peut être constitué à l’aide de propositions comme
    P® FLOTTER sur (A : x, B : eau)
+ P" ® CONTENIR (A : x, B : objets), etc.
(c) ‘torpille’ et ‘torpilleur’ sont corrélés circulairement [navire qui utilise une torpille pour couler un autre navire] et [projectile qu’utilise un torpilleur pour couler un autre navire].

La proposition partielle
P ® cuf*ADVENIR*TOUCHER (l : a1, t : a2, o+ : a4, so– : a5, go– : a6)
[en un espace a1 et un temps a2, c’est un fait qu’il advient que a4 touche, après a5, a6]
permet de constituer
N (préd) ®naufrage’
où l’on voit que l’effacement des notions d’agent et d’instrument produit un nom de procès qui ne dit pas (en français) s’il s’agit d’un [naufrage-accident] ou d’un [naufrage-action]. Les deux sens de ‘couler’,
[X coule1Y] et [Y coule2]
correspondent à cet ‘effacement (sémantique)’.
Les systèmes examinés ont en commun de traiter le lexique comme une grammaire particulière, qui transforme les prédications (ou des parties de prédications) en unités capables de figurer dans des calques de ces prédications, les Structures Syntaxiques : un traitement local de la récursivité, mécanisme qui produit des structures trop complexes pour être représentées in extenso dans l’énoncé ; des unités synthétiques sont alors élaborées et mémorisées, puis disposées dans la SS.

2.3. Fonctions logico-syntaxiques et catégories lexico-grammaticales
On peut, pour le français, énumérer quelques équivalences préférentielles (stéréotypes formels) entre catégories de surface (lexico-grammaticales) et structures profondes (fonctions prédicatives) .

Fonction
Catégorie gramm.
Exemples
Phrase
nom d’action
torpillage

nom de procès
naufrage

nom de position
écoute

nom d’état
vue
T(empus)
adverbe de temps
maintenant

nom temporel
huit heures

nom transféré
après dîner
Lo(cus)
adverbe de lieu
là-bas

nom spatial
à Paris

nom transféré
sous la table
Modalité
adverbe de manière
certainement

adjectif
bon, vrai

verbe modal
il faut
Préd
verbe d’action
(X) couler (un navire)

verbe de procès
(un navire) couler

verbe de position
siéger

verbe d’état
être assis

adjectif
bleu

préposition
devant, sur

conjonction
car, afin de
Rôle agent
nom
lecteur
Rôle objet
nom
livre
R. instrum.
nom
couteau

En partant des catégories grammaticales pour montrer à quelles fonctions elles correspondent, Hutchins 1971 et Dik 1978 développent une grammaire complète ; Vendler 1968 traite de l’adjectif, Bartsch 1972 et Huang 1975 de l’adverbe, Bennett 1975 des prépositions, etc.



2.4. Réduction des catégories théoriques
En dernière analyse, toutes les catégories lexicales se réduisent à deux, dès lors qu’on se rappelle que les corrélations font correspondre une catégorie grammaticale à une ‘fonction’ (= relation) dans la SP. Les deux catégories finales correspondent en gros au ‘nom’ et à la ‘proposition’. La réduction qui fait du prédicat, strictement parlant, la fonction transformant un ou plusieurs noms en une proposition est exposée par Bar Hillel (1953), et sera reprise par Lambek (1958).
John appartiendra à la catégorie n, poor à n/[n], sleeps à s/n, où : n est à interpréter comme la catégorie des séquences de type : nom, n/[n] comme la catégorie des séquences qui, lorsqu’elles ont un n à leur droite constituent une séquence qui appartient à cette même catégorie n, et s/n comme la catégorie des séquences qui lorsqu’elles ont un n à leur gauche, constituent une séquence appartenant à la catégorie des phrases. ... [ s/n[n] est la catégorie des séquences qui avec n à gauche et n à droite constituent des phrases. Bar Hillel 1953 : 10-11.
Voici quelques équivalences fonctionnelles entre catégories grammaticales courantes et construits théoriques :

Catégorie                   Exemple       Formule B. H.
verbe intransitif          travailler       s/(n)
verbe transitif              regarder        s/(n)[n]
adjectif                          pauvre            n/n
adverbe                          ici                     s/s
conjonction                  mais                s/(s)[s] .

Voici comment est représenté un énoncé selon cette notation (Bar Hillel 1953 : 16, un peu adapté) :

Paul
thinks
that
poor
John
sleeps
n
s/(n)[n]
n/[s]
n/n
n
s/(n)



n




s


n
s

Cette réduction est le point d’aboutissement de l’analyse syntaxique du lexique : elle livre comme catégorie primitive les noms individuels, et comme ‘première’ catégorie dérivée les prédicats, comme ‘seconde’ catégorie dérivée les rôles, ou relations prédicat-poste d’argument.

La complexité du lexique n’est due, ni au grand nombre des notions individuelles, ni au grand nombre des types de relations primitives. Ces deux ensembles sont probablement beaucoup plus limités qu’on ne le croit communément, quand on manie les unités du lexique et les constructions syntaxiques. La multiplicité du lexique repose sur la récursivité des opérations de prédication, qui atteint sûrement des chiffres beaucoup plus élevés qu’on ne le croit communément. La lexicalisation est un moyen de mémoriser le résultat d’un nombre élevé d’opérations de prédication, classables en un petit nombre de types, et mettant en jeu un nombre limité de notions primitives.

La grammaire esquissée ici est ‘stratificationnelle’, en ce sens qu’elle postule une série de composantes qui constituent autant de ‘couches’ étagées de la plus profonde (la RSp) à la plus superficielle (la ML). La caractéristique de cette grammaire est de démultiplier ces couches, de manière à décomposer autant que possible le mécanisme génératif et, dans une moindre mesure, le mécanisme interprétatif, afin d’indiquer aussi distinctement que possible les points de décision.

C’est une grammaire générative parce que la SP est engendrée à partir de la RS, la SS à partir de la SP, et la ML à partir de la SS. Par ailleurs, le rapport entre sémantique, syntaxe et lexique est défini de manière complète, de sorte qu’à partir d’une ML quelconque, il est possible de reconstituer le processus génératif, et de faire de cette simulation une partie de l’interprétation.

Cette grammaire est et n’est pas transformationnelle, selon les deux acceptions du terme de ‘transformation’ :
(a) selon Harris, les transformations opèrent sur des énoncés déjà constitués, et, mettant en relation des Structures Syntaxiques, ; ne concernent pas la génération du discours ;

(b) selon un autre point de vue, une transformation est une opération qui met en relation une structure ‘plus’ profonde avec une structure ‘plus’ superficielle ; le terme vaut alors projection.
Si en théorie plusieurs Manifestations Linéaires doivent être projetées ‘à rebours’ vers des RS distinctes, en pratique, une seule RSp (considérée du point de vue du contenu cognitif) peut être ‘lue’ et projetée en plusieurs Manifestations Linéaires associées, et peut également, sans changement du contenu cognitif, être modalisée et communiquée de différentes manières.
L’association entre Manifestations Linéaires est de caractère transformationnel ; les transformations sont donc admises tactiquement, dans les limites d’un processus démonstratif, d’une simplification, qui correspond également à la compétence des locuteurs et à leur intuition. On peut donc appeler ‘transformation’ la relation formelle qui lie deux structures associées de quelque composante que ce soit (RS, SP, SS, ML), sans que cette notion joue un rôle dans la description générative stricto sensu.

3.4. Grammaire fonctionnelle
C’est une grammaire ‘fonctionnelle’, qui prévoit de définir des fonctions sémantiques (classes d’états de choses et rôles dans et de ces états de choses) et syntaxiques (relations entre catégories grammaticales et fonctions logico-syntaxiques dans un lexique). Prévoyant en outre un enchâssement
communication : modalisation : description

c’est une grammaire de l’énonciation capable de définir des fonctions pragmatiques (actes de langage et indices référentiels de la situation de communication).
Cette grammaire correspond au paradigme fonctionnel que Dik (1978 : 4-5) oppose au paradigme formel :


paradigme formel
paradigme fonctionnel
langage
ensemble d’expressions
instr. d’interaction
fonction
exprimer les pensées
communiquer
psychologie
compétence = faculté
compét.ce communicative
système
priorité compétence
priorité usage
situation
sans contexte
traitem.t du contexte
acquisition
innée input faible
découverte, input fort
universaux
propriétés innées
contraintes *
composantes
autonomes **
hiérarchisées***
*    contraintes communicatives, bio-psychologiques, contextuelles
**  Syntaxe, Sémantique, Pragmatique
*** Pragmatique ® Sémantique ® Syntaxe

Cette grammaire est ‘lexicaliste’ car le lexique joue un rôle déterminant dans le processus génératif, en ce sens que les synthèses lexicales et les assignations de catégories grammaticales adviennent lors du passage de la SP à la SS, et que les décisions prises lors de ce passage ont généralement pour effet de rendre ‘nettes’ les RS qui pourraient être encore ‘floues’. Les décisions lexicales ont aussi une dimension pragmatique dans la mesure où elles associent, par le choix d’une synthèse lexicale donnée, des RS annexes.

Elles permettent des inférences débordant largement le domaine cognitif, et qui demeurent partiellement autonomes, et donc ‘facultatives’, ce qui donne du ‘jeu’ à l’interaction communicative.

Enfin, il s’agit d’une grammaire de texte, puisque l’unité de manifestation est un énoncé unitaire, pragmatiquement défini par des coordonnées communicatives, et que l’unité sémantique est une RSp prise dans son ensemble.
Le ‘découpage’ de la RS se fait par le jeu des topicalisations changeantes, par la modification des actes de langage (la modalisation de diverses parties de la RS), puis par le mécanisme des synthèses lexicales de prédications, par la transformation des relations hiérarchiques en relation de simple coordination, etc. La notion de ‘phrase’ n’a ici aucun statut théorique.



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